Céleste était figée d'effroi. La tête lui tournait et elle était prise de tremblements incontrôlables. La peur et l'incompréhension s'emparaient d'elle telles une mer glacée. Que venait-il de se passer exactement, elle n'en avait aucune idée, mais ce soudain et court relent d'émotion avait déposé sur elle une fine pellicule visqueuse et glacée, un frisson désagréable lui parcourant la peau dont elle ne pouvait se débarrasser.
Le feu brûlait dans l'âtre. Mais Céleste était frigorifiée. Un froid pénétrant lui nouait les entrailles.
Une femme pénétra dans la pièce, la sortant provisoirement de son marasme. Elle était vêtue d'une veste et d'un pantalon dorés, ainsi que d'une cape blanche lui descendant jusqu'à l'arrière des genoux. Un insigne en argent était brodé au niveau de la poitrine, représentant deux plumes croisées entourées de deux fins cercles.
Ses bottines retentissaient sur le sol en un claquement régulier. Elle consulta le bloc-notes qu'elle tenait à la main d'un œil ennuyé et désintéressé.
— Mme. Wonderline ? appela-t-elle platement.
Lisæ se leva, suivie de Céleste et Lætitia. Elles s'avancèrent jusqu'à la porte marquée "salle de commande". La femme s'effaça pour les laisser entrer et referma le battant derrière elles. On trouvait en ce lieu exigüe un petit bureau derrière lequel la femme s'assit sans attendre.
— Donc, dit-elle en trempant son stylo plume dans une bouteille d'encre, vous souhaitez trois graveurs, c'est bien ça ?
— Seulement deux, rectifia Lisæ en levant imperceptiblement les yeux au ciel, j'en possède moi-même déjà un.
— Naturellement ! Puis-je évaluer les Prophètes ?
Sinelma et Minéa voletèrent jusqu'à la femme et atterrirent sur le bureau, patinant quelques instants sur le bois parfaitement verni qui ne s'accordait pas à leurs serres.
Elle les examina sous toutes les coutures. Puis, elle tira sur un rideau de velours bleu éraillé, dévoilant une fenêtre creusée à même le mur. Céleste ne percevait pas grand chose de la salle camouflée de l'autre côté. Elle était éclairée par des néons et une table blanche recouvrait presque toute l'intégralité de la pièce, lui offrant une désagréable ressemblance avec les chambres d'hôpital, dont les senteurs chimiques n'arrangeaient guère son apparence.
— Mesdemoiselles ! dit la femme aux deux oiseaux. Voudriez-vous bien vous rendre dans la pièce suivante, je vous prie ?
Minéa se précipita avec excitation de l'autre côté de la fenêtre. Sinelma, quant à elle, avançait lentement, la tête baissée à la manière d'un damné.
Les minutes qui suivirent se passèrent en silence, seulement troublé par les couinements apeurés de la petite chouette.
Une vingtaine de minutes plus tard, l'employée les conduisit jusqu'à un sas protégé par de lourdes portes de métal. Elle leur y demanda de vêtir de légères combinaisons blanches.
— Les gaz émanant des pierres utilisés dans la fabrication des graveurs sont mortels, explique-t-elle, aussi ces tenues sont-elles conçues à partir de soie de vers trieurs. Ces petits insectes de l'Archipel des Funambules sont nommés ainsi de leur étrange capacité de rejeter tout produit nocif venant à s'approcher d'eux. Vous serez donc parfaitement protégées et il vous sera inutile de vous couvrir le visage.
Céleste jugea ce procédé remarquable, tout en se jurant de se renseigner sur la faune local, dans une quelconque bibliothèque. Ainsi, ce vêtement fin formait autour d'eux une bouclier sensoriel les protégeant des quelques risques cancérigènes courant en la pièce suivante.
Une fois qu'elles furent habillées, la femme ouvrit la seconde porte du sas.
Céleste écarquilla les yeux devant la grandeur de la salle qui s'ouvrait devant elle. Le plafond voûté surplombait les nombreuses machines présentes dans la fabrique, et une lueur bleutée surnaturelle émanait de chacune d'elle, éclairant la salle d'un souffle futuriste effrayant, doublé par les instruments étranges s'alignant le long des murs.
— Ne parlez pas, ne touchez à rien et ne bougez pas ! leur intima sèchement leur guide.
Et Céleste comprenait parfaitement cette demande ; l'espace entre le mur et les machines était étroit , aussi durent-elles se faufiler à la file indienne jusqu'à une rangée de sièges.
Des hommes et des femmes vêtus de combinaisons semblables (quoique blanches et or, la couleur de la Fabrique, le bleu marine étant sûrement réservé aux visiteurs) s'activaient enter les machines. Leurs habits étaient couverts de suie et d'une substance semblable à de l'essence. Leur visage et leurs mains étaient sales, leurs cheveux en bataille parsemés de taches de graisse et de poussière.
Mais, malgré cela, Céleste ne pouvait s'empêcher de les admirait.
Elle admirait leurs gestes effectués avec fluidité et précision, leur façon de se déplacer agilement entre les machines. Ils actionnaient des leviers, pressaient des boutons, tournaient des manivelles... Ils se mouvaient avec agilité entre câbles et instruments, le front plissé par la concentration, les prunelles luisantes de leur passion assouvie, la langue coincée entre leurs dents tandis qu'ils s'affairaient autour des machines grondantes au souffle puissant et brûlant, qui faisait roussir la pointe de leurs moustaches et de leurs cheveux.
Le temps passa avec une rapidité étonnante. Il faut dire, il était impossible de s'ennuyer dans un tel lieu ! Il y avait tant de choses à observer, à admirer, à conjecturer...
— Mesdemoiselles, madame !
Céleste sursauta. Elle était tellement absorbée dans la contemplation des machines qu'elle n'avait pas vu le jeune homme approcher.
Un sourire éclatant éclairait son visage noirci par la poussière ainsi que ses cheveux poivrés, qui devaient être habituellement couleur de blé.
Céleste était frappée par son jeune âge. Malgré sa grande taille, elle était presque sûre qu'il devait avoir dans les environs de quinze ans, tout comme elle.
Il leur demanda de le suivre jusqu'à l'opposé de l'autre bout de la salle. Elles patientaient désormais devant un tapis roulant qui s'échappait d'une machine cubique. Un grondement sonore se fit entendre, et le tapis se mit en marche.
— Oh ! s'exclama Lætitia
Deux plumes venaient d'y apparaître, sortant des sombres profondeurs du puits grondant. Céleste se rendit alors compte que leur extrémité était fabriquée dans un métal ambré. Elle possédait une forme tarabiscotée complexe et se terminait en une pointe. Tout ça pour... ça ? s'étonna l'adolescente, surprise de la présence de tant d'instruments et de la dépense de tant de personnes et de temps pour deux futiles objets.
— Ce sont les... graveurs ? demanda prudemment Céleste, un coup d'œil à sa liste de courses ne lui étant pas inutile.
Le garçon sourit.
— Exact. Tu n'en as donc jamais vu ?
La jeune fille secoua la tête, négativement. Il plissa les yeux.
— Tu n'es pas d'ici, toi...
— Bon ! coupa Lisæ, évitant ainsi les questions embarrassantes. Je vous doit combien ?
— Soixante-treize perles ! annonça d'une voix bourrue un homme baraqué et immense s'avançant dans leur direction.
Parvenu à leur hauteur, il donna une grande tape dans le dos de son cadet, qui se retint de justesse de s'effondrer sur le sol grisâtre.
— Je vous présente notre tout nouveau collègue ! Nous lui devons une fière chandelle, à ce p'tit gars ! Il faut dire, il est très doué en la matière. Jamais vu un gamin de son âge se débrouillant aussi bien. Il a passé l'été à réparer nos machines. Enfin bref, excusez-moi...
Lise sourit avec indulgence tout en fouillant dans sa bourse. Elle déposa quelques perles dans la paume tendu du vieil employé et se saisit des deux singuliers objets.
— Le graveur bleu est pour toi, Céleste. Le gris est à Lætitia.
Céleste reconnut aussitôt le fruit du plumage de sa très chère Prophète.
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Le syndrome des cœurs de pierre I - Pupille
Fantasy/!\ EN COURS DE RÉÉCRITURE Tome premier « Dans nos cœurs en perdition, L'amour s'est volatilisé. Mais en ces relents d'émotions, Même la haine n'a subsisté. Seule l'impassibilité souffle en cette terre, Où tous nos cœurs sont faits de pierre. » P...