Les jours de misère

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Derek, le regard perdu, était debout face à l'immense baie vitrée. Il observait le ciel grisonnant qui s'assombrissait à mesure que la nuit tombait. Cela faisait des heures qu'il n'avait pas bougé.

Trois années qu'il était revenu dans sa ville natale. Cet antre de deuil et de tristesse qui gardait son passé dans chacun de ses coins, chacune de ses fissures, de ses pans de béton.

Derek avait passé son après-midi là, à contempler cette flore de bâtisses en contrebas. Cette faune d'humanité qui vaquait à un destin insipide. Cette forêt qui s'étendait jusqu'à l'horizon, ne ressemblant guère qu'à une touche automnale apposée pour rehausser le ton.

L'homme regardait le vent jouer avec les bonnets des passants, avec la cime des quelques rares arbres implantés en ville. Il observait le courant chahuter avec les sachets et papiers qui traînaient sur les chemins de goudron. Avec les quelques feuilles multicolores qui parvenaient à danser sans contraintes.

- Que t'arrive-t-il, neveu ? s'était inquiété son oncle.

- C'est un jour de misère, avait-il répondu à la mine inquiète de Peter.

- Et tu en as beaucoup, des comme ça ? avait questionné celui-ci en haussant un sourcil.

- C'est pour ainsi dire devenu mon quotidien, avait soufflé Derek presque imperceptiblement.

Derek distrayait sa vue pour s'efforcer à penser à autre chose, mais son esprit ne se contenta bientôt plus de cette poésie désolée que lui offrait le monde qui s'étalait sous lui. Le visage d'un jeune homme finissait toujours par s'imposer de sourires, de regards, de gestuelles que le loup avait l'impression de connaître par cœur.

Il soupira, ferma les yeux, détestant se sentir la proie de toutes les émotions qui l'animaient quand il songeait à lui. Mais en trois années, il ne fut pas un jour démuni de cet être, pas une nuit où Derek n'y pensa pas, pas une heure de camisole pour ces sentiments omniprésents. Cette ombre le suivait partout, à la fois rassurante et angoissante, faisant indubitablement partie de sa vie. Son cœur, qu'il avait cru si longtemps mort après le massacre de sa famille, s'était remis à battre un jour de septembre et n'avait plus jamais cessé ses tambours abîmés.

- Si c'est ton compagnon, tu ne peux pas l'ignorer en espérant continuer à vivre ! s'était emportée Cora.

- Je fais ce qu'il y a de mieux pour lui comme pour moi ! s'était-il défendu durement.

- Ouais, bien sûr, Derek, continue à faire ce qu'il y a de mieux pour toi en te laissant mourir ! avait craché l'impétueuse petite sœur.

- Ça pourrait bien lui sauver la vie, avait-il murmuré si faiblement qu'il doutait de l'avoir prononcé.

Il l'aimait. Depuis ce premier jour dans la forêt, depuis qu'il avait croisé son regard, depuis qu'il avait compris que son odeur lui serait indispensable. Il l'aimait autant qu'on puisse aimer l'impossible, autant qu'on peut souffrir l'improbable en épousant le désespoir.

Il l'aimait. De ses défauts à son rire cristallin, de ses yeux d'ambres à sa peau pâle, de ses sarcasmes à ses grains de beauté, de sa maladresse à ses qualités. Il était tout. Ses humeurs, sa lumière, ses étoiles et sa terre. Il était autant de rêves en couleur, de pensées épuisées. Autant de besoins écorchés. Derek aimait jusqu'à la torture enviable que tout ce qu'il était lui infligeait.

Et Derek aimait aimer Stiles, cet être qui bouleversait sa vie par sa simple existence. Stiles était un péché né pour le tenter, sans doute pour le détruire sans même avoir à y penser. Le détruire de cet effluve exécrablement attirant, de ce corps musclé diablement attrayant, de cette peau pâle parsemée d'éclats chocolat, de ce nez revanchard, de cette bouche...

Les jours de misèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant