Arythmie (nouvelle)

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C'était un jour de pluie. Emmanuel regardait par la fenêtre du salon. Sur son fauteuil roulant. La pluie giflait timidement la vitre. Treize heures trente. Sa mère s'approcha de lui. Immobile, il ne fit aucun geste.
« Je repars travailler, je reviendrai plus tôt que d'habitude, à ce soir chéri. »
D'un sourire, elle embrassa son fils, claqua la porte. Emmanuel fixait sa montre : treize heures trente-deux. Maria souriait sans cesse : cela faisait maintenant deux ans qu'elle revenait manger le midi.

Emmanuel observait. Il voyait sa mère partir sous son parapluie. Il ferma les yeux. De sa main droite, il touchait la cicatrice s'étalant sur la totalité de son avant-bras gauche. Cicatrice survenue deux ans auparavant. Un samedi soir, un restaurant avec sa mère, retour en voiture, une pluie battante, un inconnu ivre, un peu d'alcool, beaucoup d'inconscience, un choc. Un terrible choc. Maria s'en était sortie indemne. Aucune égratignure. Pas un seul jour sans y penser. Un accident de voiture banal. 
Emmanuel rouvrit les yeux, fixait sa montre : treize heures trente-cinq.
« Il lui faudra du repos. Ce ne sera pas évident, mais il aura besoin de temps. De beaucoup de temps. Peut-être a-t-il un passe-temps ou bien une passion ? Madame, vous êtes sa mère, sa seule famille : vous le connaissez mieux que quiconque. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à m'appeler. » Telles furent les dernières paroles du médecin. 

C'était un jour de pluie. Emmanuel gisait toujours près de la fenêtre. Quatorze heures. Un enfant, chemise cartonnée à la main traversa la route. Il toqua à la porte verte de la maison d'en face. Un vieillard l'ouvrit, tout sourire. Cet enfant, c'était Paul. Jeune garçon de huit ans : déposé tous les mercredis à treize heures cinquante-neuf précisément par son père, conduisant une camionnette rouge, embrassant son fils, puis revenant le chercher à quatorze heures cinquante-cinq, patientant dans la voiture la vitre mi-ouverte pendant cinq minutes, cigarette à la bouche. Emmanuel savait avec exactitude l'emploi du temps de chaque apprenti. Observer était devenu sa seule activité. Ce vieillard donnait des cours de piano à tour de rôle. À raison d'une heure par personne. Paul, huit ans. Ensuite Audrey, quatorze ans. Sami, treize ans dont les cours devaient prendre fin aujourd'hui, puis Tamara, neuf ans. Et dix-huit heures sonnait. Emmanuel les connaissait tous. Non pas seulement par vice et épiage. Deux ans auparavant : le professeur, c'était lui. Avant l'accident. Un simple passage piéton à traverser, et le voilà qu'il enseignait. Mais tout ceci est terminé.

C'était un jour de pluie. Emmanuel reposait dans son fauteuil roulant, les yeux toujours rivés sur la fenêtre. « Peut-être a-t-il un passe-temps ou une passion ? » Cette phrase résonnait chaque jour dans la tête de Maria. Elle aimait son fils. 
La pluie transpirait tendrement sur la vitre. Une feuille d'érable vint brusquement s'y aplatir. Emmanuel ouvrit la fenêtre basse. La pluie cracha quelques gouttes sur le carrelage. Il saisit délicatement la feuille par son pétiole puis la libéra dans la brise d'un geste fluide. Alors qu'il s'apprêta à fermer la fenêtre, le jeune Paul sortit de la maison. Son père l'embrassa, puis ils partirent. Tout sourire le vieillard sortit également. Il aperçut Emmanuel et le salua de la main tout heureux de le voir, comme le ferait un grand-père avec son petit-fils. Ce dernier ferma la fenêtre, sans rien dire. La dernière fois que le vieillard était passé à la maison remontait seulement à deux semaines. « Une journée protocole. » Le vieillard ayant proposé que chaque nouvel apprenti se rendrait chez Emmanuel pour son premier jour. Oui, c'était ainsi qu'ils avaient surnommé cette première journée. « Tu as beaucoup plus de facilité à mettre en confiance les enfants et les jeunes, les encourager et les motiver. Je te les confie qu'un seul jour, promis. Je te fais confiance, d'accord ? Avant que je ne les reçoive, donne-leur le goût du plaisir ! Écouter, c'est aimer. Et puis tu es talentueux, n'est-ce pas ? Tu dois être un exemple pour eux. Non, tu es un exemple ! Ah... mon enfant, si tu n'avais pas eu cet accident, jamais je n'aurais accepté de prendre le relais. Dieu merci, tu es toujours là, et en plus avec tes bras fonctionnels et tes jambes qui reviennent. Tu y réfléchis toujours, hein ? Crois-moi, tu guériras. » Le vieillard admirait Emmanuel.

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⏰ Last updated: Dec 08, 2017 ⏰

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