3. Raphaël

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Tout était noir. Raphaël était toujours dans le sac, et il y faisait noir comme l'encre. Et on ne pouvait pas dire que les deux tritons faisaient des efforts pour le porter sans le tuer. Malgré le fait qu'ils soient dans l'eau, et donc qu'il aurait dû flotter, ils le traînaient et le pauvre garçon se prenait les rochers coincés dans le sable. Mais c'est à peine s'il s'en rendait compte.

Il pensait. Il pensait à Aurore. À Alissia. À Pierre, Luca et Thomas. Il se demandait s'il allait les revoir un jour. Mais il pensait surtout à Aurore, en fait. Bizarrement, c'était elle le ciment du groupe. Elle était amie avec Pierre et Alissia d'un côté, Thomas d'un autre, et enfin Luca et lui-même d'un dernier. Si elle n'avait pas été là, il n'aurait jamais parlé que ce soit à Thomas, à Pierre, ou même à Alissia. Et maintenant, grâce à Aurore, ils étaient les six meilleurs amis du monde. Il pensait aussi à la première fois où il l'avait vue, à la rentrée de seconde. Ils étaient à côté en cours. Il se rappelait ses cheveux longs et blonds, ses yeux bleus, son sourire étincelant. Il se rappelait même la première fois qu'elle lui avait parlé. Elle était tellement timide en classe et devant des gens autres que ses amis ! Il se rappelait qu'il lui avait demandé si c'était bien les exercices un, deux et trois qu'il fallait faire, et elle lui avait répondu ''oui, un, deux, trois, nous irons au bois''. C'était bête, et très enfantin, mais ça les avait fait rire. Il se rappelait aussi comment, parfois, elle devenait agressive quand quelqu'un lui voulait du mal. C'en était fini du doux agneau ! Lorsque quelqu'un voulait la blesser, ou voulait blesser ses amis, elle devenait une véritable tigresse et se défendait avec autant de hargne qu'une lionne. Raphaël se rappelait comment, à certains moments, elle paraissait venir d'un autre monde, lorsqu'elle prenait ce petit air rêveur et ce sourire béat.

Le sac s'ouvrit soudainement. Il fut éjecté et se retrouva le nez dans la vase, devant un trône en fer noir où était assis un triton à la queue verte. Le triton assis là avait l'air d'un prince charmant de conte de fée, mis à part le fait qu'il était assis sur un trône noir d'encre sculpté de têtes de mort. Il y avait mieux comme trône, pour un prince charmant.

Le prince charmant lui sourit.

Lui : Je me présente. Je m'appelle Philippe Delacour. Et toi ? Qui es-tu ?

Raphaël se demanda s'il était judicieux de lui dire la vérité. Mais à quoi bon mentir, de toute façon ? Après le transport en sac, il était clair que ce garçon n'était pas bien attentionné. Et puis mentir ne lui servirait à rien pour la bonne et simple raison qu'il était sans doute dans un autre monde que le sien, où personne ne viendrait le sauver. Il répondit donc :

Raphaël : Raphaël.

Philippe : Raphaël. Bien. Alors, Raphaël, que dirais-tu de prendre le thé ?

Raphaël se demanda s'il avait mal entendu, et bafouilla :

Raphaël : Le... le thé ? On m'a trimballé dans un sac juste... pour prendre le thé ?

Philippe Delacour eut un sourire d'excuse mais ses yeux indiquèrent clairement qu'il n'était pas désolé.

Philippe : Ah, oui... Je suis désolé pour le sac... J'avais demandé à ces deux idiots d'être... délicats. Mais visiblement, ça n'a pas vraiment été le cas... Je tiens à m'excuser, Raphaël, je ne voulais pas paraître... méchant !

Il éclata d'un rire cristallin. Les deux tritons qui tenaient le sac rirent aussitôt, d'un rire un peu forcé.

Philippe : Moi, méchant ? Ha ha, je suis charmant, moi ! Ha ha !

« En voilà un qui se prend pas pour un tas de bouse » pensa Raphaël.

Cependant, Raphaël devait avouer qu'il était beau, dans son genre. Il avait des cheveux châtains et raides, coupés courts, et des yeux verts, du même vert que sa queue. Raphaël n'était pas vraiment sensible à la beauté masculine, mais ce gars-là était vraiment très beau, il ne pouvait pas le nier.

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