Je ne sais pas comment je me suis retrouvée là...Ça m'a l'air tellement absurde, avec tout ce qui s'est passé jusque-là. A ce moment précis, il me semble presque extraordinaire d'accomplir quelque chose de si ordinaire. Enfin, si l'on considère comme ordinaire l'un des plus importants examens de piano de ma vie. Si cette épreuve est un succès, j'obtiendrai un diplôme qui me permettra d'entrer dans une grande école de musique: c'est mon rêve depuis toujours.
Ironiquement, c'est maman qui m'a poussée à venir. Bien qu'attendant ce moment depuis ma plus tendre enfance, je ne me sens pas prête aujourd'hui. Comment le pourrais-je en sachant que ma grand-mère décédée peut communiquer avec moi dans mes songes et qu'elle m'a chargée de retrouver son assassin avec l'aide d'un pendentif... magique? Car oui, si j'étais plutôt sceptique quant à la vraisemblance de toute cette histoire, l'existence du pendentif, elle, est indéniable. Mais ses effets, par contre, laissent à désirer. J'ai essayé tout ce qui me passait par la tête. Je lui ai parlé, je l'ai serré fort dans ma main en pensant à l'assassin, j'ai cherché en vain un bouton activant une fonction secrète. Je suis même allée jusqu'à le plonger dans l'eau chaude pour voir s'il n'abritait pas des voix de sirènes (les fans d'Harry Potter comprendront). Et il est resté muet. Totalement, fatalement, inexorablement muet. De fait, je ne le quitte jamais et je l'emmène partout avec moi: j'espère qu'un mouvement ou une action inopinée saura accomplir un miracle.
Mais pour l'instant, on dirait que ce n'est pas le médaillon qui peut me porter chance. Je ne peux compter que sur moi-même pour me mener où je veux. Et là, tout ce que je veux, c'est réussir cet examen. Je ferme les yeux et respire profondément. Je sais que je peux le faire, j'ai cette ressource en moi. Je me suis entraînée si dur et si fort, je n'ai pas le droit de tout gâcher en me laissant emporter par mes émotions. Je sais, je suis trop sensible et même si c'est aussi une force, c'est souvent la plus grande de mes faiblesses. Je me laisse submerger par ce que je ressens sans avoir aucun contrôle et je perds ainsi tous mes moyens.
Mais aujourd'hui, je suis plus forte, je veux être plus forte. J'ai le soutien qu'il faut, même si ce n'est pas exactement celui que j'imaginais. Eléa est là, me souriant désespérément, comme si la joie qu'elle mettait dans ce sourire avait le pouvoir de guérir tous les maux et de porter toute la chance du monde. Et cela m'aide. Un peu. Enfin, je dois me raccrocher à chaque petite chose si je veux m'en sortir. Maman n'est pas là, et c'est mieux comme ça, elle m'aurait plus déstabilisée qu'autre chose. Je sais, je peux paraître sèche, mais ma mère n'est vraiment pas un cadeau. Je n'arrive pas à supporter son hypocrisie envers sa propre fille. Quand d'autres personnes nous entourent, elle sourit et me couvre de compliments comme si j'étais la dernière merveille du monde. Mais je vois bien que son regard est absent et ses lèvres crispées, d'autant plus que lorsque nous sommes seules, j'ai à peine le droit à un regard ou une parole froide et sèche pour me donner un ordre essentiel à la survie. Et puis parfois, comme ça, elle renfile son sourire et tente de prendre soin de moi, peut-être tentée de maintenir un semblant d'illusion ou alors rongée par un éclair de culpabilité.
Mais l'absence qui se fait le plus ressentir, bien sûr, c'est celle de Mamila. Elle avait tellement hâte d'assister à ce moment, son excitation étant certainement bien plus grande que la mienne. C'est elle qui m'aurait aidée à tout traverser, c'est en elle que j'avais fondé tous mes espoirs. Et pourtant elle m'a laissée, perdue dans le vide de l'air, dans le vide dans les corps qui m'entourent et vidant ma vie de tout sens. Quand je sens mes yeux s'emplir de larmes, je tente de respirer encore plus calmement pour me relaxer. Assise devant le piano, les juges ne vont pas tarder à me faire signe de jouer et je dois être concentrée. Mais mes mains commencent à trembler et je comprends que je suis sur le point de me laisser submerger. C'est alors que je la sens. Sa présence. J'ai tout d'abord du mal à identifier où, mais plus le temps passe et plus elle est claire, comme plus matérielle. Et elle est là, assise entre les juges qui ne se doutent de rien, me souriant comme elle avait l'habitude de la faire. J'arrive même à apercevoir les rides en pattes d'oie au coin de ses yeux, que j'ai toujours admirées, me promettant que quand l'âge me gagnerait à mon tour, je saurai prouver à la vie que je n'en ai pas moins toujours été heureuse.
VOUS LISEZ
Au-delà du réel
ParanormalEurydice est effondrée à la mort de sa grand-mère. Privée de son plus grand soutien affectif, elle commence à avoir des hallucinations et des pertes de conscience. Peut-être que tout deviendra clair grâce à ses rêves étranges...