La Belle et la Bête

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Chaque année, Magalie regarde comme plusieurs millions de téléspectateurs une émission sémillante, sexy comme la raclette et bavarde comme fluide glacial, à la recherche d'une créature adipeuse à son goût. #ADP n'est pas la contraction d'adipeux, mais les initiales de L'Amour est dans le pré, programme pas très chic - mais souvent choc - emmené d'année en année par la joviale Karine Lemarchand, alias tata Kaka pour les intimes.


Lovée dans son canapé suédois marron, Magalie reluque en replay les portraits des agriculteurs avec une attention soutenue : elle ne veut pas rater une parole - ni même un chicot - de ces messieurs. A cet effet, elle n'hésite pas à faire arrêt sur image, munie de sa télécommande, quand les plans dévoilent dentition et manucure. Un focus sur les mains en dit long sur la personnalité d'un homme : une trainée de terre sous l'ongle, c'est la même chose qu'une trace de pneu dans un slip, c'est rédhibitoire !


Armée de son Moleskine, dont elle caresse la texture douce en se remémorant quelques festins, elle s'enivre des billevesées métaphysiques et parfois déphasées de ces hommes en combinaison verte. Amusée, excédée parfois par leurs propos pétris de clichés, de bons sentiments et autres mensonges doucereux, elle commence à prendre quelques notes, sans jamais quitter des yeux l'écran de la télévision : âge, qualité de vie, sens de la décoration, nombre de pièces dans la maison, présence de parents collants - le mieux, souffle-t-elle, c'est quand ils sont décédés... Quant aux chiards, n'en parlons pas : éliminatoire d'office !


Mais le critère principal, aux yeux de Magalie, c'est l'exploitation - pas celle de la femme, non, quelques corvées agricoles, culinaires ou sexuelles ne l'effraient nullement - mais la ferme, les granges, les étables, le terrain. Le rêve !


Pour remporter tous les suffrages dans le cœur de la belle, le domaine agricole de ce monsieur doit être non seulement vaste mais loin de tout. Critère déterminant ! Magalie pourrait même aller jusqu'à pardonner une hygiène buccale douteuse si le lieu correspond à sa recherche. Le saint Graal. Une seule envie : baigner dans ce calme auquel elle aspire. Les maisons isolées ? C'est numéro un dans son cœur, à défaut... les hameaux peuvent faire l'affaire.


La discrétion de la vie privée, voilà un point sur lequel elle est intransigeante. C'est d'une importance capitale pour son équilibre personnel, mental et physique ! Moins il y a de curieux aux aguets, mieux Magalie se porte. Dommage, s'inquiète-t-elle, en proie au doute, qu'il faille se taper l'équipe de montage pendant le tournage... Ces petites vipères curieuses les suivraient à la trace, les traquant jour et nuit, elle et sa concurrente, caméras aux poings.


Sa rivale ? Elle ne l'effrayerait pas. Magalie compte sur son magnétisme animal pour la dégager vite fait : les hommes la flairent comme des toutous quand elle passe à côté d'eux, en mini jupe. Débusquer et séduire les hommes, ce n'est pas un tour de force pour une prédatrice comme elle. En revanche, dégoter le propriétaire d'un grand terrain et d'une maison à l'avenant, là, c'est une autre paire de manches ! Un vrai parcours du combattant.


Songeuse, elle continue de prendre des notes. Les âges, les ex femmes, le tour de taille, les hectares. Les amis, aussi. Sont-ils nombreux ? Du genre envahissants ? Sont-ils chasseurs ? Magalie a une aversion toute particulière pour les chasseurs. Ils brisent l'harmonie de la nature. Ella a toujours eu peur de leur gâchette un peu folle, quand elle se promène dans les bois. Bref, elle ne les aime pas. Ca la gênerait d'en côtoyer.

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