Elle était là, dans ces horribles vêtements, encore une fois dans ce lit d'hôpital. Les affreuses lampes blanches qui éclairaient la chambre la rendait encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà. D'après l'infirmière, elle refusait de manger et de parler depuis trois jours. Il fallait qu'elle arrête ses conneries, et vite. Dans sa chambre, nous avons discuté. Je lui ai avoué qu'elle était la seule à me faire pleurer.
-Quand c'est moi? avait-elle dit.
-Toi, avais-je confirmé avant de m'enfuir, la gorge serrée.
Une fois de l'autre côté de la porte, je m'effondrai sur une chaise et commençai à pleurer toutes les larmes de mon corps. J'avais l'impression que ma vie entière n'était qu'un mouton de poussière qu'on chasse d'un grand coup de balai. D'abord mes parents me laissaient tomber au moment où j'avais besoin d'eux, ensuite Axelle s'amusait à se laisser mourir dans un hôpital pourri.
Quelques jours avant de mourir, ma grand-mère m'avait dit : "Vit', ta vie sera infestée de connards et de connasses venus de tous horizons. Si tu peux les éviter, fais-le. Sinon, donne leur un coup de pied là où ça fait mal. Compris? Et surtout, ne rejette pas ceux qui essayeront de t'aider, même s'ils s'y prennent comme des manches."
Trois jours après, une voiture a grillé un feu rouge et l'a percutée. Elle mourut à l'hôpital de ses os brisés. En quatre ans, j'ai essayé cinq fois de tuer celui qui a fait ça (un vendeur dans un supermarché moisi), mais j'en ai toujours été empêchée par ma sœur qui ne me lâchait pas d'une semelle et qui, dès qu'elle me voyait traîner près du connard en question, venait me fouiller pour me retirer les possibles objets dangereux. Un briquet, du tissu, un marteau en passant par un couteau à beurre, j'étais une vraie tueuse en carton du haut de mes dix ans. J'ai fini par laisser tomber: j'allais le laisser vivre avec son meurtre sur la conscience. Ce fut la meilleure décision de toute ma vie, car régulièrement, ma mère recevait des fleurs en plastique directement prises de ce supermarché devant sa porte.
-Madame, vous allez bien? me demanda une infirmière en se penchant vers moi.- Non, merci. Je vais y aller, au revoir.
Une fois de retour dans mon petit appartement, dans ma solitude, je m'affalai sur mon canapé. Sous les coussins, un tas de feuilles m'attendaient. Des factures, encore des factures, toujours des factures. Je m'étais faite virer de mon boulot au service de McDo', après avoir fait tomber une dizaine de plateaux-repas, il y a longtemps. Et désormais, Axelle occupant tout mon esprit, je n'avais pas cherché de nouveau travail, en plus, peu de personnes embauchaient des gens comme moi, ni de lycéens. Il fallait que je fasse part de mes difficultés à payer au propriétaire...
Je composai le numéro du proprio en question, et attendis qu'il réponde, la peur au ventre. Il allait sûrement se foutre de mes problèmes, il devait en avoir assez avec les siens...
-Allô?
- Oui, euh bonjour, je suis Vitalie et je-
- C'est pour les factures? Les impayés? me demanda la voix masculine.
- Oui, c'est ça j'ai quelques difficultés en ce moment... Comme par exemple un boulot inexistant, un lycée et...
- Je sais. Je te connais, Vitalie, même si je te vois de moins en moins souvent en cours de français. me coupa-t-il de nouveau.
- Monsieur Amblade...? fis-je surprise de me retrouver au téléphone avec mon professeur de français.
- Lui même. Je compte sur toi pour venir me voir dans la salle 602 demain à midi. Ne me fais pas attendre, nous parlerons de cet appartement.
- Euh... D'accord... répondis-je, complètement sonnée.
Une fois qu'il eût raccroché, j'eus l'impression de me retrouver dans ces séries américaines où on apprend que le tueur du frère de l'actrice principale est en fait le père du voisin qui est prof dans le lycée. Ce genre de situations improbables qui vous prennent de court et qui remettent l'expression "le monde est petit" au goût du jour. Je ressortis les innombrables factures des recoins de mon sofa et les posai sur la table avant de partir me coucher, la satisfaction sur les lèvres.
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elle était là SOUS CONTRAT D'ÉDITION
Romansa«Elle était là, avec ses baskets trouées et son jean déchiré,» A & V, elles sont là, mais surtout à la fin. Parce qu'elles auront juste assez de temps pour s'aimer et qu'on est jamais content de ce qu'on a.