chapitre 1 partie 1 : L'oiseau bleu prend son envole

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partie 1

Mes jambes ornées d'ecchymoses tremblent sous les températures hivernales de ce triste matin de janvier, cachées sous mon épais blouson noir. Une fois de plus, j'entre dans ce grand hall d'hôpital blindé.

Depuis mes 11 ans j'y passe le plus clair de mon temps, cela ne vous étonnera donc pas que je le connaisse comme le fond de ma poche. Le sol gris ; les murs crème abîmés, écorchés, voir détruits par les enfants en manque d'occupations ; et par dessus tout, cette odeur de désinfectant omniprésente qui vous colle à la peau.

Je ne déteste pas les hôpitaux, loin de là, je les trouves nobles. Les gens qui y travaillent sont incroyablement généreux et bons envers vous, mais ça reste un endroit où la mort est prête à vous sauter à la gorge à chaque secondes.

L'état de la plupart des patients présents est frappante : ils sont tous abîmés et meurtris. Un long frison me traverse de la tête aux pieds et machinalement je regroupe mes cheveux bleus en une couette qui tombe sur mon épaule.

J'avance avec lenteur en suivant mes parents dans les couloirs gelés tandis que des sons répétitifs se font entendre près des portes fermées.

Soudain, mes muscles se contractent, ma respiration s'accélère. J'enfonce la porte des toilettes la plus proche et me jette sur le lavabo où je m'accroche du mieux que je peux pour tenter de tenir droite.

Tout mon corps lâche prise.

Je voudrais seulement partir loin d'ici, m'évader. Ma respiration devient faible, elle me demande beaucoup de concentration.

Des coups résonnent, le visage inquiet de mon père apparaît derrière moi et me fixe.

-Néva ? Tout va bien ?

J'inspire. J'expire. Ma tête tourne.

-Oui... murmurai-je. Oui, je sors papa.

Je me passe de l'eau sur les joues et les yeux, m'observe dans le miroir et regrette vite. Ma face est pâle, je ressemble à un fantôme.

Mon père m'aide à marcher jusqu'à la salle d'attente, sans un mot. J'analyse les gens qui nous entourent, l'atmosphère est pesante. Si nous sommes tous présents ici, à l'étage cancérologie, c'est que certains d'entre nous finiront propulsés six pied sous terre ou encore condamnés à rester enfermés dans cet hôpital jusqu'à ce que leur dernière heure arrive.

On m'a toujours dit que les choix étaient partout, qu'il n'y en avait pas de mauvais, seulement que les conséquences étaient différentes. J'aimerais pouvoir penser que cette théorie est vraie, me dire que l'on a toujours le choix et qu'il y a quelqu'un de bien qui veille sur nous et nous aide, mais pour l'instant rien ne me permet d'y croire.

Ma vision des choses peut paraître très pessimiste et je le conçoit, mais si c'était vrai, si la vie était réellement «rose», que faisait toutes ces personnes agglutinées sur le chemin de la mort ?

Du haut de mes dix-sept ans, j'ai longuement réfléchi aux actes qui auraient pu causer cette malchance quotidienne collante. Et j'ai fini par me dire que si la vie était une grande loterie, j'avais tiré la pire boule du lot, ou tout du moins l'une d'entre elles.

J'aurais juste souhaité avoir une vie, pas parfaite, seulement une vie.

Les larmes me montent aux yeux, c'est plus fort que moi. J'essaye de cacher mes émotions, en vain, c'est trop tard. Je les sens dévaler lentement le long de mes joues ; ma gorge se noue.

Une voix m'appelle, je capte que c'est mon tour, je ne réagis pas. Pourquoi réagirais-je?

Cela fait quatre années que je viens toutes les semaines en espérant à chaque visite que l'on me dise enfin que la chimiothérapie a fonctionné et que je suis en rémission décisive. Je portais d'énormes espoirs, j'avais tellement confiance en la vie et pourtant, il y a deux semaines, on m'avait annoncé une rechute.

La réalité m'avait frappée en pleine face.

Je savais pourtant que les espoirs, la chance, tous ça n'était qu'une invention inutile de l'Homme pour se rendre la vie plus agréable.

«Ne t'inquiète pas, ça va aller»

Combien de fois m'avait-on répétés ces mots ? Ça va aller ? Non, ça ne va pas aller. Je n'en peux plus, mon corps me lâche petit a petit, me faisant souffrir infiniment.

Je me donne encore une année à survivre, j'ai déjà commencé à rédiger la liste des invités pour mon enterrement...

La voilà, la réalité : Je suis une adolescente de dix-sept ans atteinte d'une «LAL», une Leucémie Aiguë Lymphoblastique. J'ai passé la moitié de ma vie dans cette hôpital. La première fois où j'étais tombée malade, j'étais restée trois ans dans une chambre blanche à me demander si je me réveillerais le lendemain. C'était invivable, insuportable.

Quatre ans auparavant, on m'a annoncé que j'étais potentiellement guérit. Mon bonheur était tel que je m'étais mise à imaginer toutes les belles choses que je pourrais vivre à présent. Seulement maintenant, c'est la rechute.

S'en est trop, je ne veux plus de tous ça, je veux vivre...

Je jette un rapide coup d'œil à mes parents qui me sourient, eux aussi sont détruits. Ma mère ne cesse de pleurer depuis deux semaines et ne sort plus de son lit que pour se rendre à mes rendez-vous médicaux ; quand à mon père, il n'a jamais été le meilleur dans son rôle mais il avait toujours réussi à prendre soin de moi. Cependant, plus le temps passait et plus il devenait absent, il fuyait la maison, parfois même plusieurs journées pour ne pas avoir à me voir en train de disparaître.

Je ne leur en voulait pas. Comment en vouloir à ses parents d'être terrorisés à l'idée de perdre leur fille ? Ils essayent de sourire, de faire croire qu'ils contrôlent la situation ; mais personne n'est dupe, ce n'est que le début de notre fin.

Personnellement je préfère lâcher prise. Je regarde le médecin, il me tend une main assurée lorsque d'un seule coup, comme prise de conscience, je la rejette. Je les rejette tous, absolument tous.

Je me lève, les regardent un par un, mon visage encore trempé de larmes, je souris à mes parents et sors en courant. Je traverse les couloirs sous le regard inquiet des infirmières, dévale les escaliers à toute vitesse.

J'entends des voix au loin qui hurlent mon nom, mais je ne m'arrête pas. À partir de maintenant je ne m'arrêterais plus, plus jamais.

Je ris, ça me fait un bien fou. Je passe les portes de l'hôpital sans regarder en arrière, je continue de courir, mon pauvre cœur fatigue mais il ne me lâchera pas. Pas cette fois. J'en suis capable.

Arrivée en bas de la rue, je repère un bus où je m'engouffre sans réfléchir.

Il m'emmènera là où il le souhaite, je m'en fiche.

Rémission PartielleWhere stories live. Discover now