CHAPITRE 2 - Néo [2|3]

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Je réprimai un sanglot. Il n'aurait jamais dû mourir ce jour-là, pas alors que je l'avais vu, dans une de mes visions, serrer à nouveau sa mère dans ses bras, après des années de séparation. Il méritait tellement de vivre cet instant...

Parfois, je ne comprenais pas l'injustice de la vie.

Je fermai et rouvris mes yeux rapidement, chassant les larmes qui avaient réussi à franchir le rempart de mes paupières. J'essayais de me convaincre qu'il fallait que je lutte pour accomplir ce à quoi chacun aspirait, que je devais remplir leurs rêves. Je n'avais pas le droit d'abandonner si lâchement.

Mais faire tomber la Sigma Corpse et arrêter Segger lorsqu'on est seul et prisonnier était tout simplement inconcevable. Je n'avais pas envie de suivre bêtement un rêve, de continuer à espérer que quelqu'un vienne me sortir de là. J'étais attaché à des chaînes invisibles et trouillard.

J'agissais tel un fantôme, comme si je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Rien que pour ça, je ne méritais pas de me réveiller, d'être là, vivant. Je savais que Rex n'aurait jamais baissé les bras ainsi, qu'il n'aurait pas cessé d'affronter ses adversaires, comme il l'avait toujours fait, dans l'espoir d'une vie meilleure.

« Je souhaite que le monde change, que tous ces individus que l'on met de côté pour leurs différences soient acceptés pour ce qu'ils sont. On ne définit pas une personne par son apparence, mais par toutes ces choses en elle qui la rendent si spéciale. Tout le monde mérite de s'intégrer à notre société, peu importe à quel point elle n'est pas comme les autres » m'avait-il confié un jour.

Je pris une grande inspiration et expirai lentement. Je n'étais pas fait pour jouer les petits rebelles prêts à en découdre. Pourtant, l'envie y était et j'en voulais terriblement à Segger. Je n'avais toutefois pas le cran de remplacer Rex, d'agir comme lui, de tenir tête à cet homme sans esquisser la moindre peur.

Contrairement à moi, mon ami avait été plongé dans la dure réalité de notre monde depuis déjà bien longtemps. Il avait rencontré ces gens qui nous faisaient croire qu'ils étaient les gentils de l'histoire, ces personnes qui étaient prêtes à tout pour sauver la vie d'un enfant, au point de mettre en danger la leur. Rex avait appris ce qu'était de vivre seul, tel un enfant sauvage égaré.

Moi, je n'avais jamais rien expérimenté de tel. J'avais grandi auprès de ma famille, dans un cocon de douceur et de chaleur, où on me contait des légendes merveilleuses. Et bien que mon père eût foutu le camp, je n'avais pas cessé de croire en la bonté des autres.

Je me relevai et me dirigeai vers le petit miroir, suspendu au-dessus du siège de toilettes en acier. Je ne les avais pas remarqué à mon réveil, tous deux dissimulés derrière un rideau couleur neige qui se confondait au reste de la pièce. Cela devait être la deuxième fois seulement que j'osais observer mon reflet dans la glace.

Aussi étrange que cela pouvait paraître, rien n'avait changé en deux ans : mes cheveux étaient restés ce même fouillis brun caramel, mes yeux n'avaient pas perdu leur teinte bleue et aucune barbe ne venait obscurcir mes joues. Alors que j'étais censé avoir dix-sept automnes cette année, j'étais bloqué dans l'apparence d'un garçon de deux ans de moins. Bien des personnes savaient pourtant qu'à cet âge-là, on changeait rapidement... On m'avait déjà annoncé que j'avais un retard de puberté, mais cela n'expliquait pas tout. On ne pouvait pas « s'endormir » pendant des mois puis revenir comme si quelques heures seulement s'étaient écoulées, c'était impossible.

Dans un coin de la surface en verre, j'aperçus l'éphéméride accroché sur le mur opposé. Je ne parvenais pas à déterminer si les agents avaient oublié de le changer pour l'année suivante ou si j'étais réellement perdu dans le temps.

À mon éveil, j'avais admis sans tiquer en la véracité de ce calendrier mural. Puis l'idée qu'il s'agissait peut-être d'une plaisanterie de mauvais goût m'avait effleuré l'esprit et je m'étais échiné à y croire.

Mais, lors de son unique venue, Segger n'avait pas cessé de me répéter, encore et encore, qu'il me racontait la vérité. J'avais lu son honnêteté dans ses yeux : pour une fois, il ne mentait pas et je n'eus pas d'autres choix que de lui donner du crédit.

Je quittai du regard ma silhouette svelte, m'éloignai de ce coin improvisé et fixai, pour la énième fois, l'immense baie vitrée derrière laquelle se tenaient mes amis. Les premiers jours qui suivirent mon retour, je n'avais arrêté de chercher un moyen de briser cette paroi qui me séparait d'eux, dans l'espoir de comprendre pourquoi ils ne se réveillaient pas.

Sans trop savoir pour quelle raison, Segger m'avait partagé ses pensées et ses craintes les concernant : les enveloppes protectrices semblaient refléter leur état de santé. Alors, comme lui, j'avais peur de les perdre, de voir les couleurs qui les entouraient s'éteindre à tout jamais.

Je regrettais que mon pouvoir soit si inutile dans un moment comme celui-là. Si j'avais eu une capacité qui me permettait d'être intangible, peut-être aurais-je pu vérifier si mes amis se portaient bien ? Si j'avais eu une faculté qui m'accordait une force surhumaine, sans doute aurais-je pu détruire cette barrière qui me retenait loin d'eux...

Mais, malheureusement, je n'avais rien de tout ça. Je n'étais que Néo, un garçon qui avait des rêves qui ne lui appartenaient pas, un adolescent qui connaissait des fragments de futur parfois trop hasardeux pour qu'ils se réalisent.

L'avenir n'est pas écrit dans un livre, il est constitué de milliers de variables, de centaines de décisions qui peuvent tout faire basculer en une seconde...

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant