Instant fugace

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Tout amour pense à l'instant et à l'éternité, mais jamais à la durée...

Nietzsche


Dans un ciel d'un bleu azur, un soleil de plomb frappait en cette journée de la fin du mois de juin. Le chant des cigales avait déjà depuis longtemps remplacé le chant des oiseaux, abattus par cette chaleur. Cette quiétude fut troublée par les cloches d'une église. Des cloches qui battaient à un rythme lent et ordonné. Dans cette église, un enterrement venait de se terminer.

Un cercueil de chêne laqué, porté par quatre hommes en costumes noirs, sortit en premier sur les marches usées de l'église. Derrière, le cortège commençait à se former, avec la famille en pleurs en premier, les amis et les connaissances ensuite. Après vinrent les quelques personnes restées en retrait de cette douleur palpable.

Tout ce monde se mit en route pour faire à pied la centaine de mètres qui les séparait du cimetière. Le cortège était silencieux. Seul le claquement des chaussures sur le goudron se faisait entendre. La mise en terre fut solennelle et recueillie. La femme et la fille du défunt posèrent un lys rose pâle et un poème lu quelques minutes auparavant dans l'église.

Comme à l'extérieur de toute cette tristesse, un homme attendait sous l'unique point d'ombre disponible, un cyprès plusieurs fois centenaire, au milieu des pierres tombales de marbre et de granit clair.

Cet homme était habillé d'un costume léger gris clair dont il portait la veste sur un bras replié et une petite besace sur l'autre épaule. Sa chemise blanche à manches courtes était légèrement déboutonnée au niveau du cou, lui permettant de ne pas étouffer par cette chaleur sèche. Quelques mèches de cheveux bruns foncés se perdaient sur son visage dont les traits et les yeux marrons ambrés exprimaient toute la fatigue d'avoir passé une journée entière dans les transports pour venir assister à cet enterrement. Même si rien à l'extérieur ne montrait sa sincère peine, elle criait, hurlait au plus profond de lui.

Une vieille dame, après avoir mis une poignée de terre sur la bière, eut un faible sourire en voyant cet homme en retrait et alla le rejoindre, le reconnaissant malgré les années passées.

- Cela lui aurait fait plaisir de te voir, Nathaniel, dit la voix étonnamment claire de la vielle femme.

- Je n'en suis pas sûr.

- Si. Il me parlait souvent de toi. Mais il est particulièrement triste de te revoir dans ces circonstances. Dis-moi, tu as un endroit où dormir ? Je ne pense pas que tu vas rentrer sur Londres ce soir.

- Non. Je pensais prendre une chambre dans l'hôtel du village et repartir demain.

- Dans ce trou à rat ? Hors de question.

Elle lui saisit un poignet et l'entraîna à sa suite, hors du cimetière.

- Tu viens à la maison. Il y a toujours eu de la place. Et puis, c'est ce que mon fils aurait voulu.

Nathaniel ne trouva rien à redire et suivit docilement la mère de son ancien ami. Ils passèrent devant l'église, la mairie et l'école communale sur le fronton de laquelle on pouvait lire : Ecole de garçons, sur la rue principale. Ils changèrent de route à l'angle de la boulangerie pour prendre une ruelle composée d'habitations. Encore une fois, ils tournèrent pour arriver devant une maison bourgeoise du début du XXe siècle, toute en hauteur. Les murs extérieurs étaient en briques rouges, plein de colonnades blanches et aux fenêtres en croisillons. Sur les côtés latéraux de la demeure, le lierre avait pris ses aises et gagnait un peu de terrain d'années en années. L'homme promena son regard sur le porche en fer forgé qu'il avait vu tant de fois lors de sa jeunesse en venant dans cette maison.

Instant Fugace M/MOù les histoires vivent. Découvrez maintenant