"Elle était jeune et belle, mais pâle, de la pâleur éteinte et grise des cadavres" - La Dame au Linceul, Bram Stoker.
Je m'ennuie. Aussi loin où remontent mes souvenirs, je me suis toujours ennuyé. Jamais rien ne parvenait à conserver mon intérêt bien longtemps. Le monde entier m'indifférait. Jusqu'à ce que je débute la peinture ; je pouvais créer un monde, mon monde, du bout des doigts. Cependant, cet art, trop superficiel a aussi fini par me lasser. Il manquait cruellement de vie. Je voulais peindre des choses plus...vivantes.
J'ai eu une illumination alors que j'assistais à un ballet. La grâce d'une danseuse vêtue de rouge m'a ému. C'est alors que j'ai commencé un nouveau style de peinture. Je peignais de jolies robes rouges aux femmes dont la beauté me touchait.
Malheureusement, aucune n'a jamais survécu. Et leurs robes devinrent leurs linceuls.
C'est alors que je t'ai rencontrée, splendide et enchanteresse. Tu me souriais toujours, tu ne me fuyais jamais. Et par dessus tout, tu me comprenais, moi, mon travail, ma recherche de la beauté suprême. Tu as ri quand je t'ai raconté ce qui était arrivé à mes trois précédents modèles. J'étais tellement plein d'admiration pour toi, jolie dame. Alors pour toi aussi, je voulais dessiner une somptueuse robe couleur sang.
C'est pourquoi je t'invitai ce soir à poser pour moi. J'affûtai mon couteau et commençai à peindre. Tu n'as même pas cillé. Tu n'as même pas dit un mot. Je ne comprenais pas...Tu étais encore là, à me regarder. Comment était-ce possible, ma dulcinée ? Dans cette superbe robe d'un rouge sombre faite spécialement pour toi. Elle descendait comme une cascade évanescente de ta gorge jusqu'à tes pieds. Tu étais éblouissante dedans. Tu me souriais tendrement, tes yeux, aussi bleus que le givre, me fixaient avec tant de gentillesse. Je m'effondrai à genoux, submergé par tant de beauté. Aucune des femmes pour qui j'ai dessiné une robe ne l'ont supporté. Toutes sont mortes après la troisième entaille, tandis que la robe atteignait à peine leurs hanches. Quelle tristesse ! Et elles criaient, criaient si fort. Qu'y a-t-il de plus beau qu'une voix de femme à son apogée ?
Oh, bien sûr, je savais que ce que je faisais n'était pas orthodoxe, pas "normal". Mais quel génie se préoccupe d'être normal ? J'étais un artiste au sommet de sa gloire. Un peintre qui n'utilisait que le rouge. Un visionnaire que personne ne comprenait. Mais toi, jolie déesse, tu me comprenais, je le savais. Je le voyais sur ton visage, tandis que mon pinceau était toujours ancré dans ta poitrine. Oui, tu me comprenais, et tu oubliais tous mes méfaits.
Well I'm down on my knees again,
And I pray to the only one,
Who has the strength to bear the pain,
To forgive all the things that I've done (*)
Je t'ai vue t'agenouiller vers moi, un sourire mutin sur les lèvres. Tu caressas ma joue de tes doigts fins. Tes yeux, plongés dans les miens, buvaient mon âme et détruisait tout instinct de survie présent dans mon esprit. Au fond de moi je savais que jamais plus je ne pourrai être quoi que ce soit pour qui que ce soit d'autre que toi. Comment faisais-tu cela, Ô Muse de mon cœur ? Rien ne m'a jamais autant fasciné comme toi en cet instant. Rien au monde ne m'intéressait, tout m'ennuyait, me lassait. Je me suis alors réfugié dans mon art que personne ne comprenait, que tout le monde haïssait. Mais tu es apparue, intelligente et compréhensive. Tu m'encourageait toujours. Tu disais que tu ne connaissait qu'une poignée d'artistes avec ma sensibilité et mon talent. Je ne savais plus qui peindre. Mon couteau était usé d'être ainsi délaissé. Je désespérais de ne plus jamais trouver de modèle.
"When you think you've tried every road,
Every avenue,
Take one more look on what you found old,
And in it you'll find something new" (*)
Comme tu avais l'habitude de dire. Tu me disais souvent de ne pas abandonner, de continuer à m'accrocher. Tu me disais souvent que le monde était plein de merveilles qui ne demandaient qu'à être découvertes, qu'il y avait un million de nuances de rouge qui existaient uniquement pour servir mon travail.
"Crois-moi, Je suis sur Terre depuis longtemps, je sais de quoi je parle..." insistais-tu. Et tu avais raison ; je t'avais trouvée. Je plongeais dans l'océan de tes yeux. J'y voyais tantôt une mer sombre et tempétueuse, tantôt un oasis de douceur. Je suis tombé amoureux de ce regard et de cette teinte de ténèbres, à peine dissimulée, que renfermait ton être. Cette obscurité en toi m'obsédait. Tu m'aidais à me relever, toujours en souriant. Je pleurais de joie, tu essuyais les larmes d'un doigt que tu portas à tes lèvres. Soudain tu décidas de mettre un peu de musique. Nocturne, de Chopin. Quel beau choix ; tu es une créature de la nuit. Tu m'invitas à danser. Comment aurais-je pu résister ? Je ne contrôlais rien, tu pouvais jouer avec ma volonté comme bon te semblait. Peu importe ce que tu me demandais de faire, je le faisais, j'étais comme possédé.
Nous dansions doucement, graduellement, toi dans ta jolie robe rouge, moi me fondant dans ton regard et dans le doux enfer qu'il renferme.
Oh girl, lead me into your darkness...
When this world is trying its hardest to leave me unimpressed,
Just one caress...
From you and I'm blessed (*)
Plus nous dansâmes, plus j'oubliais le temps qui passait. Le monde entier avait disparu, excepté toi, ma dulcinée. Oh, quelle emprise avais-tu sur moi ! Et je t'aimais, quand bien même mon instinct de survie me hurlais de me sauver, de m'enfuir loin de toi, loin de cette obscurité charmante et malsaine qui émanait de toi. Je ne pouvais pas. Tout en toi m'attirait ; la pâleur fantomatique de ta peau, la profondeur surnaturelle de tes yeux, tes yeux si hypnotisants, ton habileté à prendre possession de mon esprit. Une douce caresse de ta main sur ma joue me tira de mon rêve éveillé.
"Laisse moi te guider, abandonne-toi..." murmurais-tu à mon oreille. Je ne pouvais lutter, mon corps ne m'appartenait plus. Doucement, tu posas ta tête sur mon épaule et léchas ma gorge. Ce contact sensuel m'électrisa. Je comprenais ce qui aillait m'arriver. Je l'ai toujours su ; il n'y avait pas d'autre explication à cette obscurité, à tous ces mystères qui t'entouraient. Être avec toi était interdit. C'était mal. Tu étais le Mal. Et tu voulais que je le devienne aussi. Je l'ai senti quand tu m'as mordu. Je n'étais pas effrayé, je n'ai jamais été un Saint, de toute manière. Fais-moi devenir ta créature. J'ai toujours préféré la pâle lueur de la lune à l'éclat du soleil.
I'm shying from the light,
I've always loved the night
And now you offer me eternal darkness.
I have to believe that sin can make a better man,
Or it's the mood that I am in,
That's left us back where we began
Je m'étais totalement abandonné à ton bon plaisir, ma dulcinée. J'étais sur le point de devenir comme toi, je crois. Je vivais le plus beau moment de ma vie tandis que je sentais tes crocs plantés dans ma chair.
Nous dansions toujours au rythme de la musique. Musique que j'avais d'ailleurs oubliée jusqu'à maintenant. Un frisson me parcouru l'échine. Alors que la musique et le temps s'écoulaient, ma vie s'échappait de mon corps. Et toi tu te délectais de ma force vitale, de mon sang. Si tu ne t'arrêtais pas, tu allais me tuer. Mais c'était exactement ce que tu voulais, n'est-ce pas ? J'étais si euphorique que je ne pouvais protester. Baiser vampirique. J'allais mourir et tomber dans les ténèbres éternels.
Tu m'avais tendu un piège et je suis tombé dedans. J'entendais mon sang couler dans ta gorge, chaque gorgée me rapprochant un peu plus de l'enfer. Le même enfer qui régnait dans tes yeux.
"Merci pour to..."
Le bruit d'une nuque brisée retentit.
- Tu étais délicieux...mais tu parlais beaucoup trop Darling"
(*) Paroles de la chanson "One Caress" de Depeche mode.
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One Caress
VampireLassé par les choses du monde, abandonné par mes contemporains, j'étais une âme solitaire qui errait sans but dans les méandres de l'ennui. Je désespérais de ne plus trouver quoi que ce soit qui puisse susciter mon intérêt. L'Art vint combler ce vid...