19 - Exploration

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Quand la jeune Américaine se retrouva dans le couloir, elle réalisa qu'elle ne savait pas vraiment par où se diriger. Les découvertes qu'Ashley et elle-même avaient faites sur la lande lui laissaient supposer qu'elle devait se concentrer sur le sous-sol. C'était vraisemblablement en cet endroit que le seigneur de Ralestone gardait Mair. S'il n'était pas trop tard pour la malheureuse...

L'exposé de Jordans commençait à lui faire entrevoir les dessins de Ralestone, avec la complicité probable du théoricien. La présence désespérée qu'elle avait perçue à diverses reprises suggérait une terrible réalité. Si une chèvre ou une jument pouvait se transformer une licorne... cela voulait dire qu'une jeune fille pouvait devenir une fée, si elle était plongée dans les courants d'énergie telluriques alimentés par les croyances d'ésotériciens et de mystiques convaincus...

A cette pensée, elle se sentit physiquement malade et dut s'arrêter, une main pressée contre ses lèvres. Elle osait à peine imaginer, si c'était vrai, ce que la pauvre enfant avait dû endurer. Cet homme avait décidément tout du monstre ! Et s'il envoyait ses sbires après Ashley...

Certes, le normaliste était loin d'être sans défense. Il dissimulait bien plus de ressources que pouvait le laisser supposer son image d'intellectuel réservé ; visiblement, il s'était parfaitement remis de ses blessures et de l'empoisonnement qu'il avait subis deux mois plus tôt. Mais à présent qu'elle connaissait son côté vulnérable, Hadria ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour lui.

Une méchante petite voix dans sa conscience lui soufflait qu'elle ne ferait sans doute que lui compliquer la tâche. Elle s'efforça de la chasser, tandis qu'elle errait dans ces corridors sans fin, ponctués de portes noires, de tapisseries défraîchies et d'armes rouillées. Enfin, elle remarqua une modeste issue à l'extrémité du couloir, qui l'obligerait à se courber pour ne pas heurter le linteau. Il devait donner sur les passages plus étroits empruntés par les serviteurs ; Hadria avait une meilleure chance – si personne ne venait l'arrêter entre temps – d'y découvrir le chemin vers le sous-sol. La plupart des châteaux comportaient des salles souterraines – que bien souvent l'on prenait pour des oubliettes et n'étaient le plus souvent que d'innocentes caves de stockage ou des glacières destinées à préserver les denrées alimentaires.

Un premier escalier la mena à un entresol qui devait donner vers les cuisines – dans ce style de demeures, elles étaient d'ordinaire partiellement enterrées. Se diriger vers ces profondeurs lugubres – quand bien même elles n'avaient contenu que des provisions – ne l'enchantait guère. Elle allait devoir chercher de quoi s'éclairer, pour éviter de se perdre dans l'obscurité. Heureusement, les communs étaient bien fournis et elle n'eut guère de mal à trouver, dans un des placards, une lampe à huile et un briquet. Elle ne pouvait que remercier la providence... ou lui en vouloir de ne lui donner aucune raison de faire demi-tour.

Hadria entendit des pas venir vers elle et eut à peine le temps de se rabattre dans une réserve où étaient entreposées des piles de linge. Elle garda la porte entrouverte, observant l'homme – la lourdeur de l'allure ne trompait pas – qui passait dans le couloir. Pour qu'il se trouve en une partie aussi déserte du manoir, il devait se rendre à l'endroit qu'elle cherchait ! Mais si elle le suivait, ne risquait-elle pas de se faire repérer ?

Peut-être pouvait-elle juste rester à distance, en se mettant à couvert au moindre danger. Elle sortit de son refuge, marchant sur la pointe des pieds pour éviter que le choc de ses talons sur le dallage n'alerte l'homme. Il était hors de sa vue ; elle se guidait au bruit de ses pas. Les soupiraux au sommet des murs donnaient assez de lumière pour qu'elle n'ait pas à allumer sa lanterne.

Hadria pouvait déjà ressentir l'intensité des flux, plus encore que lorsqu'elle se trouvait dans la salle ; même si elle ignorait quel tour avait pris la conférence, elle pouvait presque discerner dans les méandres d'un étrange rêve éveillé les fantasmes qui animaient les uns et les autres. Des visions fragmentées comme dans un kaléidoscope sans cesse en mouvement passaient dans son esprit, intrigantes, dérangeantes, confuses... Mais la Reine des Fées, parée de longues ailes et nimbée d'une lueur verte, s'imposait toujours par-dessus tout le reste, comme un motif lancinant. La jeune femme se concentra pour éloigner ces images... tout en sachant que quand elle descendrait d'un niveau supplémentaire, elles reviendraient avec d'autant plus de force.

Spiritus Mundi - II - La Reine des Fées [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant