Buenos Aires, 14 août 1936.
Au réveil, mère Tina m'annonce, d'un ton solennel, que le docteur Valso voudrait me rencontrer en fin de matinée, dans son bureau : il se trame quelque chose, je le sens.
Son bureau est presque entièrement tapissé de livres, il y a un canapé et une carte accrochée au-dessus.
Je la regarde avec attention, je n'en crois pas mes yeux : c'est une reproduction de la carte de Piri Reis.
Cela m'intrigue qu'une telle reproduction soit présente dans son bureau : la carte a été découverte en 1929 mais en 1936 elle est presque encore inconnue du grand public.
Cette carte m'a toujours fasciné. Piri Reis, un amiral turc, dessina cette carte en 1513, se basant sur les découvertes de Christophe Colomb, mais aussi sur de très anciennes cartes de la bibliothèque d'Alexandrie d'Egypte.
La carte reporte les côtes d'Afrique et du continent américain – dessinées avec une précision incroyable pour l'époque – et même la côte de l'Antarctide, qui allait être "découverte" trois siècles après.
Et ce n'est pas tout : j'avais lu dans une étude que les côtes avaient été représentées comme si on les observait à des kilomètres d'altitude au-dessus de l'Egypte !
Le docteur Valso s'allume une cigarette, inhale profondément, et fait signe à mère Tina de sortir de la pièce.
Il se lève du canapé, ouvre une porte, et avec un signe de tête il m'indique de le suivre.
Je me retrouve dans une autre pièce, toute en longueur, avec un carrelage noir et blanc en damier qui accentue la profondeur de la pièce. Dans les coins, posées sur de petites colonnes, il y a des têtes en pierre aux traits négroïdes, une reproduction évidente de celles fabriquées par les Olmèques. Après la carte de Piri Reis, maintenant les Olmèques, les énigmes de l'archéologie doivent bien intéresser le docteur Valso.
Nous ne savons pas grand-chose des Olmèques, ils nous avaient laissé en héritage des têtes en pierre gigantesques aux traits négroïdes, des siècles avant que les premiers Noirs africains arrivent en Amérique Latine. Un casse-tête pour l'Archéologie.
Mes pensées sont brusquement interrompues par la présence d'un drap blanc, positionné au fond de la pièce, avec des policiers sur les côtés, immobiles, comme des statues de cire.
« Ça veut dire quoi ce drap ? »
« Nous avons un hôte. Votre cas est très, comment pourrais-je dire... singulier et il a attiré l'attention à certains niveaux. »
« Quels niveaux ? Encore l'armée ?"
« Non, non, plus haut Giuliano, plus haut », dit-il souriant en indiquant le plafond avec son index. »
« Le gouvernement argentin. Derrière ce drap, il y a une personne qui voudrait vous poser quelques questions. »
« Pourquoi ces gardes ? »
« Protocole de sécurité, n'y faites pas attention. J'ai préféré cette solution, plutôt que vous faire mettre une camisole de force. S'il vous plaît, approchons-nous. »
Nous nous asseyons sur deux chaises placées près du drap.
« Procédons, » dit le docteur Valso.
Un instant de silence, puis, en provenance du drap :
« De quelle année venez-vous ? » C'est une voix rauque, cassée par des milliers de cigarettes, dépourvue de gentillesse, expressément désagréable, je dirais même.
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L'hôte
Science FictionGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...