À l'ombre d'une Pergola Tome 2

Des maux, des mots et des sons (Part 2)

Dans la foulée, Florian fut présenté aux parents de Dana. Ils l'aimèrent rapidement. Le père de Dana disait de Florian qu'il était un homme bien, capable d'apporter la lumière dans la vie de sa chère fille. Et quant à la maman de la chanteuse, Florian était son chouchou, un garçon bien, une petite bénédiction venue d'ailleurs. Le jeune écrivain se sentait pris au piège, la corde lui serrant le cou encore plus jour après jour, et il en suffoquait.

Entretemps, les invitations aux conférences, les ventes-signatures de son premier roman, les invitations aux émissions télévisées et radiophoniques s'accumulaient pour le jeune homme. L'officialisation de sa relation avec la jeune chanteuse avait boosté sa carrière. La presse les qualifiait de « couple équilibré » ou encore d'un « élégant symbiose entre les mots et les sons ». Tout ça, au lieu de ravir le jeune homme avait fini par le placer dans une profonde dépression qu'il voilait parfaitement en présence de Dana et des autres. Il avait l'impression de revivre ses années d'antan et ses peines sentimentales qui visiblement n'avaient jamais trouvé de soulagement.

Florian repensait souvent à Yasmine. Cette jeune femme qu'il avait connue et aimée en année préparatoire à l'université. Il s'était donné à fond pour cette relation, il avait tout fait pour ne pas nuire à son premier amour, celle qui connaissait tous ses secrets et qui lui faisait oublier ses peines d'autrefois. Il avait cru en Yasmine, pour un jour finir par découvrir qu'elle était tombée enceinte, d'un homme marié et qui vivait en terre étrangère.

Ca l'avait anéanti totalement. Le garçon avait fini par perdre gout à la vie. Il avait parié et il avait perdu. Et ça avait failli avoir raison de son existence. Deux semaines après cette violente nouvelle, une overdose faillit l'emporter vers l'au-delà. En y réfléchissant aujourd'hui, la douleur était encore vive, présente dans sa chair et partout dans chaque interstice de son esprit.

Les femmes sont toutes les mêmes, pensait souvent Florian. Elles vous font tourner en bourrique pour ensuite vous détruire de l'intérieur. Depuis la mort de sa relation avec Yasmine, il avait opté pour la futilité, les putes, les coups d'un soir, les groupies, les filles qui n'attendaient rien de lui sinon qu'une partie de jambes en l'air... et ça, jusqu'ici ne l'avait jamais dérangé. Il aurait dû être plus prudent avec Dana. Il aurait dû remarquer que sa relation avec elle avait fini par modifier son comportement et mode de vie. Si Yasmine avait pu lui faire un si sale coup, pourquoi Dana n'en ferait-elle pas autant ? Cette réflexion conforta encore plus sa prise de position. Il fallait que cesse cette mascarade !

***

Et il commença à faire l'idiot. Il n'était plus là pour elle, prétextant à chaque fois que l'écriture de son nouveau roman prenait tout son temps. Il ne répondait aux appels de sa fiancée que lorsqu'il le voulait. Il n'avait plus le temps pour Dana et évitait toute conversation allant au-delà de cinq minutes. Dana sentit monter en elle une vague de désespoir. L'inquiétude la gagnait de jour en jour. Et si elle ne faisait pas assez pour l'homme qu'il aimait ? Et si Florian avait fini par se lasser d'elle ? Et si tout était de sa faute ? Alors que ces questions finissaient par avoir raison de ses nuits et à diminuer sur sa performance artistique, elle décida de faire ce que toute femme voulant sauver son couple ferait : il convia Florian à diner dans un espace neutre, un restaurant où souvent ils allaient manger ensemble.

Et elle l'attendit, là, pendant deux longues heures. La jeune femme, pour la énième fois de sa vie eut peur. Et si une fois encore, sa passivité et sa gentillesse avaient fini par tout faire foirer ? Quelque chose clochait, elle le savait, mais qu'était-ce ? Assis devant son jus de fruit, elle vit Florian, à l'autre bout de la rue, descendre de la voiture d'une femme qu'elle n'avait jusqu'ici jamais vu. Lorsque leurs regards se croisèrent et que Florian se pencha pour embrasser la femme dans la voiture, Dana sut alors qu'il n'y avait plus aucun moyen d'espérer quoi que ce soit de positif entre elle et lui. Le message était clair, Florian ne voulait plus d'elle.

Elle sortit en courant du restaurant et prit le premier taxi disponible. Ce n'est alors qu'elle put laisser libre cours à ses larmes.

Florian avait réussi son coup. Mais avait-il trouvé la paix avec ? Le garçon passa les jours qui suivirent son acte à boire et à fumer. Il avait repris ses vieilles habitudes et ses vieux démons étaient revenus le hanter. Une semaine après, en rentrant chez lui, il trouva sur le seuil de sa porte une enveloppe avec pour inscription dessus : À bruler immédiatement après lecture. Il reconnut l'écriture de Dana et s'empressa de l'ouvrir. Les mains tremblantes et la gorge nouée, il se mit à lire :

Flo,

J'ai longuement hésité avant de t'écrire, fallait que je mette mon orgueil de côté et que je te dise vraiment ce que j'ai fini par comprendre de tout ça...

Je crois que tu souffres, et ceci profondément. Pendant tout le temps que j'ai passé à tes côtés, j'ai cru qu'à un certain moment que tu t'ouvrirais à moi et me raconterai tes plus sordides histoires. J'étais prête à les écouter, tu sais... Je voulais être là pour toi en toutes circonstances. Oui, Florian. Je crois que tu souffres vraiment. Ton passé te hante et tu y es encore. Tu as peur d'être heureux et tu fais tout pour ne pas l'être. Tu n'es pas un idiot, tu es d'ailleurs l'une des personnes les plus intelligentes que je connaisse et je pense que vraiment un jour, tu parviendras à t'ouvrir à quelqu'un et que cette personne saura comprendre tes peines et qu'il t'aidera à traverser tes péripéties intérieures.

Je ne t'en veux pas, je t'ai pardonné, et sache que les jours passés avec toi m'ont permis de comprendre une chose : les sentiments ne permettent pas toujours de maintenir en vie une relation...

Continue ta vie, de mon côté j'en ferais autant. À plus Florian Val Saint-Félix

Dana...

En lisant les phrases de la jeune femme, Florian se mit à pleurer, prenant subitement conscience de sa maladresse et de combien il avait été pathétique. Dana n'avait rien fait, se disait-il, il était l'unique fautif de tout cela. Elle l'avait aimé et lui, il l'avait repoussé vivement. Se laissant choir dans l'embrasure de la porte, il se mit à relire la lettre et à donner libre cours à ses larmes et à ses sottises.

***

Et le voilà aujourd'hui, quatre mois plus tard, au Karibe Hôtel, là où tout avait été officialisé entre lui et Dana. Les mêmes questions dansaient, inlassables dans sa tête. Et si tout avait été différent. Si tout simplement avait-il essayé de faire fi de ses peurs et de se livrer à Dana, comme elle le souhaitait, comme toute relation de couple le souhaite, aujourd'hui peut-être seraient-ils encore ensemble. Il l'aimait de tout son être et il espérait la lui faire comprendre ce soir.

Dana avait été splendide ce soir-là. Florian se remémora leurs premières rencontres à la bibliothèque et comment tout était ensuite allé bien vite entre eux. Il attendait qu'elle sorte de l'espace réservé aux musiciens et chanteurs. Il ignorait ce qu'il allait lui dire, mais un fait était certain, il voulait lui parler, il voulait s'excuser et pourquoi pas reprendre là où tout s'était arrêté, ou du moins, là où il avait tout fait foirer...

Il accourut vers sa direction lorsqu'il la vit sortir de la pièce et lui toucha le bras, la jeune femme se retourna vivement. Lorsqu'elle vit devant lui un Florian maigre et barbu, Dana ouvrit de grands yeux, mais ne dit rien, juste un simple sourire assez gauche.

-Vous chantez vraiment bien !

Pradley