Chapitre 19 - Premiers pas

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Céleste se mordilla l'intérieure des joues, son corps tendu à son paroxysme. Elle tournait et retournait devant la glace, vérifiant et rectifiant le moindre plis sur son uniforme ou bien le plus insignifiant épi dans son épaisse tignasse, qu'elle avait pour l'occasion nouée en une simple queue de cheval. Un regard triste sur son inséparable duffle-coat délaissé sur le dossier de sa chaise lui serra le cœur. Cela pouvait paraître stupide, mais sentir ce drapement sur son corps l'avait toujours rassurée. Bien qu'il lui ait valu de nombreux quolibets et moqueries peu délicates, elle l'avait toujours eu avec elle pour chaque rentrée, chaque jour de calvaire parmi ses camarades hilares devant la couleur singulière de la veste, et, dans un sens – bien qu'il était et demeurerait toujours un simple objet dénué de vie –, il lui ressemblait par bien des abords. Lui aussi il était différent, lui aussi il était unique, délaissé, abandonné, moqué. Et pour la première fois depuis qu'elle l'avait découvert dans le grenier de sa maison (probablement laissé là par sa grand-tante aigrie), l'adolescente ne le porterait pas, ne sentirait pas sa chaleur réconfortante pour son premier jour de formation au sein des Archives du Monde.

— Céleste ? appela sa mère depuis le rez-de-chaussée. Tout va bien ? Lætitia est à la porte !

— J'arrive ! parvint-elle à crier malgré sa gorge nouée et ses crampes d'estomac de plus en plus violentes.

Ce n'était vraiment pas le moment pour une crise de panique ! Allons, il n'y a pas de raison de s'inquiéter ! Tu n'es plus à Paris, désormais, tu n'es plus sur Terre tout court, d'ailleurs. Ça va bien se passer, c'est certain... Ils sont comme toi, après tout... Juste. Comme. Toi.

Elle tentait de s'imprégner de ses convictions factices, bercée d'illusions. En réalité, Céleste Wonderline n'était sûre de rien. Strictement rien. Elle appréhendait simplement de se retrouver à nouveau naufragée parmi un océan déchaîné d'une houle d'hostilité.

Alors qu'elle allait se résigner à abandonner, à avouer à Lisæ qu'elle n'en était pas capable, que c'était au-delà de ses forces, une fine serre vint accrocher à l'épaule de sa cape blanche, perforant très légèrement la manche de sa combinaison grise pour venir effleurer légèrement sa peau pâle. Un nuage de plumes vint caresser sa joue et s'emmêler dans ses cheveux, alors qu'un souffle tiède murmurait à son oreille :

— Tu en es capable, Céleste... Je le sais... Je le sens...

La jeune fille laissa échapper un petit sourire insignifiant et hésitant, alors que Minéa lui transmettait une onde chaleureuse par le fin lien immatériel qui les reliait.

— Tu as raison... Allons-y.

Elle fit un petit signe de main à sa petite biche bleuâtre, qui jappa faiblement avant de sauter dans la sacoche que tendait Céleste. Cette dernière, prenant bien la précaution de laisser dépasser la tête de son compagnon animal, passa son sac à une épaule, sa Prophète sur l'autre, et se détourna de la glace pour s'engager dans les escaliers.

***

Céleste et Lætitia parvinrent à la Ruche avec cinq minutes d'avance. La brune jeta un regard luisant de détermination à son emploi du temps. Sa soléria leva alors vers elle un regard implorant, percevant sûrement les ondes d'émotions négatives émanant de l'humeur déterminée et une once paniquée de sa compagne. Elle l'avait nommée Étoile, en raison des reflets brillants illuminant ses immenses prunelles.

— On commence la matinée par un cours d'Étude de la faune et de la flore, constata-t-elle, tu crois que c'est bi... Aïe !

Lætitia lui avait donné un coup de coude dans les côtes, et lui désignait d'un mouvement du menton un garçon assis à même le sol, adossé à un pilier, et plongé dans la lecture d'un énorme volume. Céleste le reconnut aussitôt : il s'agissait du jeune garçon à la tignasse pâle rencontré à la Fabrique, et décrit comme étant un as de la mécanique par son employeur.

Le syndrome des cœurs de pierre I - PupilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant