Lucien descendit de cheval dans la cour d'honneur, heureux que la torture prît fin. Ses jambes tremblaient quelque peu, mais il parvînt à n'en rien montrer. Une grande partie de la cour était sortie pour admirer le sanglier, que le roi avait terrassé à l'épée au bout d'une longue et épuisante course.
Un écuyer prit la monture de Lucien par les brides et la dirigea vers l'Écurie, comme les dizaines d'autres chevaux. La place empestait le crottin. Lui-même ne sentait plus très bon.
Il remarqua Gabrielle, qui échangeait quelques mots avec la reine, tandis que l'équipage amenait le gibier vers le Grand Commun, où il serait cuisiné. Les invités du roi auraient l'occasion de le goûter au souper, dans la salle à manger des retours de chasse. Heureusement, Lucien y échapperait, sa garde prenant fin à l'instant.
Le roi et ses courtisans retournèrent au château, tandis que Lucien se dirigeait vers le Grand-Commun, où il rejoignit ses appartements pour se laver et se changer, enfilant des habits de cour qui ne l'identifieraient plus seulement comme un membre de la Compagnie Ecossaise.
Il en profita également pour lire le cartel
Cher Monsieur, mon honneur m'impose de vous défier les armes au poing, selon les conditions dont vous informera le porteur de ce cartel. La politesse oblige, je vous laisserai décider des armes et choisir entre mise à mort ou premier sang. Le cas échéant, le vainqueur prendra à sa charge les frais d'obsèques du vaincu. Dans l'attente de vous affronter, je vous salue.
La lettre de défi n'était bien entendu pas signée, afin qu'elle ne tombât pas entre les mains de la maréchaussée. Il la dissimula soigneusement et sortit, pour rejoindre le château, à la recherche de la duchesse de Polignac.
Celle-ci ne fut pas aussi simple à trouver qu'espérer. On informa Lucien qu'elle ne se trouvait point avec la reine et il ne la croisa pas dans les appartements royaux, qu'il arpenta pourtant en long et en large. Il se renseigna également dans les jardins, vides sitôt après la chasse, sans succès. Il s'apprêtait à tenter sa chance au Trianon, au risque de déplaire à la reine qui n'aurait guère aimé qu'il s'y rendît sans invitation, quand il crut apercevoir la duchesse, dans un des chemins de traverse qui reliait des bosquets entre eux.
La nuit commençait à tomber.
Elle entra dans le bosquet de l'Encelade. Il s'approcha, réfléchissant aux arguments qu'il devrait avancer pour la convaincre de le libérer, quand il vit un gentilhomme entrer également dans le bosquet. Lucien se figea. Que faisait la duchesse dans un endroit reculé des jardins, à l'heure où les courtisans occupaient surtout le château, dans l'espoir d'une invitation de Sa Majesté ? Rencontrait-elle un amant en secret ?
Lucien se fit discret et pénétra dans le bosquet, s'avançant jusqu'à apercevoir les deux individus. Il se cacha alors derrière des arbustes, heureux d'avoir choisi des vêtements noirs, et prêta l'oreille. Au centre de la fontaine du bosquet, le géant Encelade, en plomb d'or, se fait écraser par des rochers
Les mots ne lui parvinrent pas clairement, mais le dialogue, il s'en rendit compte rapidement, n'était pas celui que deux amoureux se livraient à la faveur de la nuit. Il n'y avait aucun contact entre l'homme et la duchesse, qui maintenait une certaine distance. Pas de rires, ni même de sourires. Non seulement ils n'étaient pas amants, mais ils ne s'appréciaient pas. Alors pourquoi se rencontraient-ils ?
Gabrielle remit quelque chose à l'homme, avant de se diriger vers l'une des sorties du bosquet, passant non loin de Lucien, mais sans le remarquer. Elle marchait d'un pas pressé, le visage fermé, comme si elle fuyait le personnage avec qui elle s'était entretenue. Cela éveillait l'intérêt de Lucien.
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Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)
Ficción históricaVersailles, 1776. Lucien est Garde-du-corps du roi, prestigieuse position qu'il doit à la bienveillance de la reine. Hélas, son Altesse royale ne manque pas de lui rappeler ses devoirs envers elle, ce qui pourrait bien le mener à sa perte. Un roman...