On va dire que j'suis jamais content, ouais, j'aime bien ronchonner, et alors ? Dans le quartier, j'suis connu pour ça, depuis toujours. On m'appelle Raoul le pas cool. Quelle imagination de merde, les gens... Ils ont que ça à foutre... donner des surnoms débiles. Qu'ils s'occupent de leurs vieux culs pleins d'merde !
J'aime le calme, j'men cache pas. J'suis pas venu en pavillon pour souffrir et supporter les voisins comme à la ville, ceux qui grognent comme des porcs tout le temps. Ou subir de la musique de merde à travers des murs en carton. La retraite c'est sacré ! Ben oui, j'ai bossé toute ma chienne de vie, je mérite bien une p'tite part de paradis sur c'te putain de terre, alors ces nuisibles, leurs petites vies bruyantes, j'm'en bas totalement !
J'me laisse pas faire, manquerait plus que ça ! J'appelle les flics un peu trop souvent, il paraît... C'est Raoul ? qu'ils demandent au téléphone, dès que j'dis les mots magiques : délinquant, tapage diurne, nocturne, gens bizarres qui rôdent, fille qui crie. Comme si c'était moi l'criminel... Pfff, cette suspicion... Les cons... Les filles qui crient, c'est parce qu'elles ont perdu leurs poupées bien sûr, mais je sais pas, au moins, les flics, ils viennent. C'est rassurant quelqu'part, j'vois que je paye pas des impôts pour rien. Dire que j'ai trimé comme un con toute ma vie, tout ça pour quoi ? Que ma femme devienne une adepte de la tarte au poil et me quitte pour une camionneuse, que mes ingrats de gosses m'ignorent, montés contre moi par cette vieille bourrique ! J'ai appris qu'elle avait un cancer : bien fait ! Elle n'a que la monnaie de sa pièce !
Elle est loin de ma vie, cette traîtresse, mais les voisins... pfff impossible de boire son cubi tranquille sur la terrasse sans les entendre jacasser de la pluie et du beau temps. On le sait depuis belle lurette qu'il y a plus de saisons, mes pauvres dames... Certains te disent bonjour du bout des lèvres, t'as l'impression qu'ils vont chopper une maladie à te parler, avec leurs regards mauvais. Les autres t'ignorent, tu les ignores aussi. C'est mieux ainsi. Sauf que derrière, ils parlent. Je sais ce qu'ils disent : Raoul, il est jamais rond comme une queue de pelle, mais c'est une saleté d'alcoolique, un alcoolique avec un fusil.
Ils pissent dans leur froc, mais au moins ils ne viennent pas chier dans mes bottes. Ils savent que j'vais réagir au moindre pet de mouche. Au bistrot du village, depuis qu'j'ai fait circuler le bruit que j'avais un fusil, tout est rentré dans l'ordre. Ca marche toujours, ça instaure du respect... Ils se disent le vieux Raoul, il a du plomb dans l'aile et s'il disjoncte, il va nous foutre une cartouche. J'suis malin !
Tout était calme depuis le décès de Simone et Barnabé. Je les aimais pas ces deux-là, deux retraités de l'éducation nationale, toujours à inviter des gens à jouer au tarot ou à la belote dehors. Ils s'croyaient au-dessus des autres, à faire des clubs de lecture débiles où ils parlaient de Madame Bovary. J'sais qui est cette salope mais elle fait pas couler que l'encre, ça c'est sûr ! Enfin... tout ça, c'est derrière moi, une petite crise cardiaque bien sentie, une mort de tristesse trop lente à mon goût et me voilà pépère quelques mois. Jusqu'à ce que débarque une famille...
Une vraie p'tite famille modèle. Un homme, une femme, deux chiards montés sur ressorts.
J'ai de la chance, l'un des deux est muet. Ils communiquent souvent en faisant des gestes bizarres. Du coup, j'les tolère. On s'dit même bonjour... Mais jusqu'à quand ? Ca va pas durer, j'le sais ! J'ai toujours pensé que ce serait les mauvaises langues qui allaient jaser et les convertir, un peu comme ces vieux curés avec leurs paroles soûlantes, ils finissent toujours par traîner une ou deux vieilles brebis égarées dans leurs églises... C'est l'pouvoir des cancans. Pas de chance, la famille modèle a décidé de déclarer la guerre... Et ça se passe maintenant, là, tout de suite, sans crier gare. Quand j'ai vu ça, j'ai vu rouge et j'parle pas de mon verre !
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Bradbury's Babies
Short StoryRecueil des nouvelles que j'ai créées dans la cadre du Bradbury Challenge 2017-2018. Objectif du challenge : écrire une nouvelle par semaine, pendant un an. Mes objectifs : la régularité, me dépasser, dompter l'envie, aller dans des genres ou des r...