Ève

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Ève marchait, dans une fuite éperdue dénuée de tout espoir. Elle fuyait vers les montagnes, et avec un peu de chance, lui offrirait le salut.  Elle pourrait rejoindre la ville d'Héphire avant de poursuivre sa route. Se volatiser. Ne devenir personne.
On lancerait des soldats à ses trousses, elle en était convaincue. Si on la rattrapait... Ève ne préférait pas y penser.

Autour d'elle le paysage changeait au fur et à mesure qu'elle progressait. Les chênes, qui jusqu'à là encadrait la route tortueuse se transformaient peu à peu en sapins, pendant que le chemin devenaient un sentier escarpé. La montagne se dressait devant elle, menaçante, écrasante avec ses murailles de roches que dévalait de bruyantes cascades. Les pics recouverts des neiges éternelles dressaient leurs ombres agressives sur la forêt épaisse, ce qui la fit frissonner. Elle se sentait minuscule, une puce sur ce colosse de pierre.

Ève repensa à ce quelle avait abandonné en partant, les raisons de sa fuite hors des murs de la ville, loin de sa famille, loin de tout ce qu'elle avait connu.

Elle était la princesse du royaume d'Ikonos, et son père avait jugé bon que le jour de ses seize ans, elle serait mariée au seigneur d'un royaume voisin. Chez cet homme, qui avait trois fois l'âge d'Ève, ce n'était ni le courage ou la finesse d'esprit qui avait motivé le choix des fiançailles. Seule comptait sa richesse. Les alliances. L'hypocrisie polie des nobles de la cour. Son image. Combien lui apporterait sa dot. Les parts de territoires cédés.

À elle, on ne lui avait rien demandé.

Sachant le sort qui l'attendait si jamais on la mariait, Ève avait tenté d'aller se réfugier dans le temple de la déesse Vindă, dont les prétresses faisait vœux de chasteté. Mais arrivée là-bas, quand elle avait cherchée le réconfort dans sa croyance, la mère supérieure du temple l'avait expulsé. "Va t'en ! Tu jettes l'oprobre sur le temple et si tu restes, c'est un malheur terrible que feras abattre ton père sur ce lieu !" De bien dûrs mots auquel elle n'avait rien à répondre. Elle s'était lentement relevé, les genoux douloureux après sa prière contre le sol de marbre, et après un dernier regard vers l'idole de la déesse, plein d'incompréhension et de tristesse, elle était sortie.

Ève rentra au château en pleurant. En pleurant sa peine. En pleurant à cause de Vindă qu'elle adulait. En pleurant son avenir. Elle ne se voilait pas la face sur ce qui allait arriver. Après le mariage, en rentrant dans la demeure de son mari, il la violerai. Il la mettrai enceinte. Elle mourrai sans doute en couche. Et si ce n'était pas le cas, elle en ressortirait brisée, vaincue. Elle avait croisée de telles femmes. Elles n'étaient plus que des ombres, cherchant le salut, en vain. On les voyait marcher dans les rues, la tête basse. Effacées.
Sa propre mère était morte en lui donnant la vie. Était-ce un sort plus enviable ?

Alors elle s'est enfuie. Elle pris son courage à deux mains et était partie du château avec son maigre paquetage et ses regrets, la nuit précedant son mariage. Fuyant par une porte dérobée, elle n'avait pas attendue que la cité se mette en branle, quelques heures plus tard, réveillées par les lourdes cloches du château, qui signalait sa disparition.

À présent, cela fait deux jours qu'elle marchait, sans relache. Ève comprit que c'était fini. Elle était était épuisée et souffrait de multiples blessures occasonniée par l'escalade de la montagne. Toutes ses forces l'avait abandonées. Et elle savait que ses poursuivants étaient proches. Tous ses espoirs, ses rêves se brisait. Même si elle le savait, mais ne voulait pas mettre les mots sur ce que ses poursuivants lui fairait si ils la rattrapait.
Elle rassembla ce qui lui restait de courage pour faire ses derniers pas.

Alors elle déboucha sur une clairière, irréelle aux milieux des arbres, éclairée par la lumière dorée du crépuscule. Là se tenait un sanctuaire en ruine, dédié à Vindă. La jeune fille tituba vers l'autel de granit, où elle s'effondra, couchée sur le dos. Elle sentait la texture poreuse de la roche à travers les lacérations de sa robe. Elle était fraîche. Cela lui faisait du bien contre sa peau endolorie. Elle voulait rester là à jamais

"Que le ciel est beau ! songea t-elle. Jamais je n'avais remarquée sa puretée. Nous sommes si insigifant par rapport à son immensité..."

Elle se sentait en paix, comme si Vindă la receuillait, la serait dans se bras.

Puisant dans ses dernières forces, elle tira une dague de sa ceinture. Une lame d'apparat, en acier mat, droit. Tranchante comme les remords. Elle pesait lourd dans sa main. Pourtant elle lui offrait un salut, un échappatoir.

Une larme roula sur sa joue et vint s'écraser sur la pierre. Le tissu fin de sa tunique se souleva légèrement, soulevé par un souffle d'air imperceptible.

"Vindă, donne-moi la force de le faire !"

Et dans le bruissement de la forêt, personne n'entendit la lame transpercer doucment le corps de la jeune femme, tachant de sang la délicate robe blanche dont elle était vêtue. Sans un bruit, sa main retomba à ses côtés, et la lame rougie s'écrasa par terre dans la mousse humide.

"Je veux juste fermer les yeux, et dormir pour l'éternité..." pensa t'elle

La forêt s'était tûe, à part quelque craquement ici et là, comme par respect pour la petite créature qui mourait sur la pierre, là, loin de tout. Le silence était tout juste interrompu par le clapotis des gouttes rubis qui ruisselait de l'autel.

Et alors que l'ombre de la Faucheuse s'étendait sur Ève, elle cru voir, avant que sa vision ne se voile à jamais, un papillon voleter autour d'elle et se poser sur sa poitrine. Celle-ci se souleva une dernière fois, le corps de la jeune femme s'arca avant de retomber à tout jamais sur la pierre millénaire, figé.

Et la forêt devint tout à fait silencieuse.

Une femmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant