Vendredi 21 novembre 2017, aux alentours de 19h00, bâtiment de la S.M Entertainment.
Le bâtiment était quasiment vide ce soir-là. Ou plutôt complètement vide. Zhang Yixing, le jeune homme qui déambulait à travers ses couloirs en cette heure tardive ne pourrait plus jamais les traverser. Il sentait qu'il devait partir, que quelqu'un, quelque chose le pressait de partir de ce lieu, de déguerpir de ce sol qu'il n'avait plus le droit de frôler. Aujourd'hui fût le jour où il se promit de ne plus jamais entrer de nouveau dans ce bâtiment, de ne plus jamais refaire la même erreur qu'il avait faite aujourd'hui sur le compte d'espoirs démesurés.
Après que ses compositions aient essuyé un refus dans une première maison de disque, il avait décidé de retourner une nouvelle fois à la SM pour voir si ça pouvait fonctionner. Mais bien évidemment ce ne fût pas le cas. Revenir ici était une terrible erreur.
Alors qu'il traversait les couloirs comme un voleur, il se rémora chaque souvenir des scènes heureuses et malheureuses qui se trouvaient derrière chacune des portes devant lesquelles il passait furtivement tel un fantôme. En cinq ans et quelques mois maintenant, il s'était passé tellement de choses qu'il ne pouvait replacer chaque souvenir au bon endroit. Et avec onze camarades avec qui il passait auparavant le plus clair de son temps, leur nombre était incalculable.
Pourquoi se sentait-il si étranger entre ces murs ? Lorsque qu'il avait annoncé son départ, on lui avait clairement spécifié qu'il pouvait revenir par ici s'il le souhaitait, pour voir comment évolué les choses, pour rester en contact avec l'équipe et les groupes plus facilement. Mais pas pour redemander un contrat. C'était beaucoup trop demander à l'agence. Et pourtant il avait osé. Six mois après l'Evènement, il était revenu. Aujourd'hui, il se considérait comme la personne la plus idiote de cette Terre. Sans aucun doute. A l'époque, il avait clairement décidé de ne jamais revenir. Yixing avait l'esprit sensible et beaucoup trop de regrets dont il ne pouvait envisager effacer l'existence, mais qui seraient moins difficile à supporter s'il ne pénétrait pas une seconde fois dans le lieu où ils se trouvaient. Alors il avait décidé de tout quitter, de « couper les ponts » une bonne fois pour toutes.
Alors qu'il descendait les étages et se dirigeait vers la sortie, ses souvenirs remontaient avec la violence d'une vague incontrôlable. Mais ils étaient flous, illusoires. Les contours étaient imprécis et les personnes qui y jouaient n'avaient pas de visage. Son cerveau avait automatiquement occulté leur réalité pour lui causer moins de souffrance sans même qu'il en prenne conscience, comme le jour de son départ.
C'est plutôt pratique.
Alors qu'il descendit la dernière marche de l'escalier, il se dirigea vers la grande porte vitrée, fit un signe de tête au garde, poussa la porte aussi rapidement que possible et sentit l'air froid de Séoul sur son visage. C'était comme si la ville l'appelait à autre chose, à un changement, ou plutôt à un nouveau départ.
Encore.
Alors qu'il commençait à s'éloigner du bâtiment, il ne se retourna pas. Ce n'était pas nécessaire. Il avait déjà fait ses adieux il y a six mois de cela et était prêt à quitter le bâtiment sans le regarder, pour en conserver un souvenir plus flou.
Quand il atteignit l'arrêt de bus quelques minutes plus tard, il se demanda s'il devrait le prendre aujourd'hui ou non. Toute cette marche à travers le bâtiment l'avait fatigué et son unique béquille devenait presque insuffisante pour qu'il parvienne à marcher normalement ou presque.
Mais il se devait de marcher, de trouver le courage. Il ne supportait déjà pas la vue de ce stupide bâton d'alu, il supportait encore moins de se faire transporter en permanence parce que marcher cinq cent mètres le fatiguait trop. Devenir un assisté à tout bout de champ est la chose la plus cruelle qui soit pour une personne comme lui, « à mobilité réduite ». Et pourtant c'est ce à quoi il est destiné.
Lorsqu'il vit approcher son bus avec fracas, il changea immédiatement de direction, se cramponna fermement à sa béquille et se mit à marcher. Son souffle était déjà court des efforts précédents, mais il continua tout de même. Il n'habitait pas si loin, dans peu de temps il arrivera chez lui, prendra des cachets pour endormir la douleur, ne serait-ce qu'une minute, et dormira sans vraiment savoir s'il se voudra se réveiller.
Au prochain carrefour, où les voitures rejetaient leur gaz nocifs comme jamais, il tourna à droite puis encore à droite. Il prenait un raccourci. On peut bien tricher de temps en temps. La « rue » dans laquelle il avait pénétré avait des allures de couloir. C'était loin d'être un grand boulevard et c'était loin d'être bien fréquenté, surtout à cette heure-ci. Mais il s'en fichait. Après tout même s'il n'était pas totalement rassuré, il n'avait jamais eu de problèmes.
Mais ça, c'était avant d'avoir une béquille et la démarche d'un vieux. A présent il était considéré comme « faible ». Ces gens-là, voyous de mauvaise souche et autres ne se souciaient pas de qui était la personne, si elle était jeune, âgée ou s'il elle avait des enfants à nourrir. En devenant ou en étant faible, on devenait une cible tant qu'on avait un portefeuille et plus si affinités. Nous sommes des « pigeons ».
Deux garçons, beaucoup plus jeunes que lui, mineurs très certainement lui bloquaient le passage étroit et sale qui donnait sur la prochaine rue, plus grande et bien mieux fréquentée. Yixing les fixait comme s'il allait les transpercer. Il les intima le plus aimablement et fermement possible de le laisser passer. Les deux gaillards étaient armés d'une batte de baseball chacun. L'un portait un bandeau à la tête, l'autre à l'épaule. Ils avaient l'air costaux, mais restaient beaucoup trop jeunes pour faire ce genre de choses.
Y'a-t-il vraiment un âge minimal ?...
Il les regarda encore une fois.
Sans doute pas.
Alors qu'il se demandait ardemment ce qui les avait conduits ici, dans cette ruelle, à racketter personne après personne sans remords, il fût violemment plaqué contre le mur de gauche par celui au bandeau à la tête. Il pensait trop, et n'avait pas eu le temps de réagir. Mais son assaillant n'avait pas tant de force que ça. Il s'extirpa facilement de sa prise et s'éloigna le plus rapidement possible du mur poisseux et humide. Mais impossible pour lui de courir.
Trop faible.
Encore.
Alors qu'il se mit à marcher d'un pas boiteux mais efficace vers le grand boulevard dont il ne voyait qu'une partie, les deux le rattrapèrent rapidement et un le plaqua au sol violemment. Sur le ventre, il ne pouvait plus rien faire, il restait totalement impuissant. Le jeune l'écrasa alors de tout son poids et Yixing manqua encore plus d'air. Il suffoquait contre le sol dur dont les pavés lui rentraient dans les côtes quand l'autre lui arracha son sac et le jeta dans un coin. Il sentit soudain ce dernier saisir quelque chose de lourd.
Cette fichue batte.
Toujours écrasé par le second, il était dans une impasse. Il avait réussi avec cette saloperie de béquille à se mettre dans une impasse qui n'existait pas à la base.
Il entendit l'autre s'avancer vers lui. Encore, encore, encore un peu jusqu'à que Yixing commence à voir son ombre sur le sol.
Il était au-dessus de lui à présent.
Tous deux étaient silencieux.
Ils ne disaient rien.
Comme s'ils estimaient qu'il ne valait pas la peine qu'on lui parle.
Comme si c'était normal.
Comme s'il n'était rien, juste un faible, une cible de plus.
Puis quelques secondes plus tard, ce fût le noir. A l'intérieur comme à l'extérieur de sa tête il n'y avait plus rien. Il ne se passait plus rien. L'inconscience était là, et l'avait plongé dans un profond sommeil.
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Behind the clouds
FanfictionUn autre monde rempli d'angoisse et de regrets s'ouvre à Yixing lorsqu'il doit faire face à une blessure physique irrémédiable qui le force à quitter le groupe. Perdu dans cet autre univers, il ne voit plus ceux qui sont là pour lui, jusqu'à ce que...