Une seule seconde

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Il est entré dans le métro, sa copine au bras. Il m'a tout de suite plu. Sa manière de lui sourire, de la regarder. De lui effleurer la joue, de lui caresser les cheveux.

Les siens étaient flamboyants et ébouriffés. Il ne faisait que passer sa main dedans, tout comme il ne cessait de vouloir remonter ses lunettes sur son nez plus que nécessaire.  Comme s'il avait l'impression qu'elles étaient en équilibre précaire et toujours prêtes à tomber. Il resserra les pans de son manteau et attira la fille contre lui. Ils regardèrent le parcours du métro à travers la ville. Je compris qu'ils descendaient trois stations avant moi. Le métro ralentit.

"Excusez moi monsieur ..."

Je me retournais et vis une petite femme d'un certain âge qui essayait de passer. Je me poussais et allais me caler contre les portes qui se refermèrent après son passage.

Je revins à mon inconnu.

Comment aborde-t-on quelqu'un d'une manière décente ? Du genre :

"Salut vous n'auriez pas l'heure ?"

Chose ridiculeusement ridicule. Tout le monde possède un portable ou une montre sur soi de nos jours. Ou "J'aime bien vos cheveux."

Quoi qu'un peu cavalier sur les bords, non ?

Pff ...plus que quatre stations. Creuse toi cette tête mon vieux, tu vas quand même pas le laisser s'échapper du train de ta vie monotone comme ça !

Voilà que j'me mets à faire tout un plat d'un type que je ne verrais plus jamais de ma vie.

Je sais que je vais le laisser partir sans le retenir et le perdre dans cette ville où je n'ai jamais croisé deux fois la même personne, sauf celles que je fréquente.

Je me demande ce qu'il fait dans la vie. Quel âge peut-il bien avoir ? Pas plus que vingt ans en tous cas. Mais qui sait ? Elle penche la tête en arrière. Ils s'embrassent. Sourient. Elle, se met à regarder quelque chose par terre. Lui, cherche à capter le regard d'un inconnu. Il scrute presque chaque personne dans le wagon. Il s'arrête sur une petite fille accrochée à sa mère. Son regard s'attendrit et il se penche à l'oreille de sa copine en lui chuchotant quelque chose qui fait briller ses yeux. Elle pose une main protectrice sur son ventre. Il la lui caresse. Reprend son observation. Me survole rapidement de ses yeux noisettes sans me prêter plus d'attention que ça. Puis il finit par poser son menton sur le sommet de la tête de la fille.

Comment pourrait-il s'appeler ?

Plus que deux stations.

Est-ce qu'un jour il pourrait me regarder de la façon dont il la regarde ?

Me sourire de la façon dont il lui sourit ?

M'effleurer de la façon dont il l'effleure. Comme s'il avait peur de me briser, de la casser.

Sans doute pas.

Plus qu'une.

Je me demande s'il embrasse bien.

Tu ne le sauras jamais si tu ne lui adresses pas la parole.

La lumière arrive dans le tunnel. Je laisse tomber mes projets pour la journée.

Avant de sortir

"Félicitations ..."

Je désigne le ventre de la fille sans le quitter des yeux puis je sors précipitamment de la rame en me faisant violence pour ne pas me retourner.

Finalement c'est moi qui m'échappe.

Le dernier métroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant