Une fille pas ordinaire

       

Je n'ai jamais cru aux contes de fées.

J'ai eu une enfance un peu merdique, il faut dire. Je n'ai pas à me plaindre, j'ai toujours été nourrie, logée, on ne m'a jamais frappée. Mais il y eut une époque où j'aurais tout donné pour qu'on me raconte de belles histoires le soir, avant de m'endormir. Pour me faire rêver un peu...

J'ai grandi dans un orphelinat. Les cheveux bruns, les yeux bruns, le teint pâle, j'étais une petite fille trop ordinaire, sans histoire, sans famille. Certains soirs, je m'endormais en me disant que je pourrais disparaître sans que personne ne le remarque.

Je me trompais et ce qui devait arriver finit par arriver. J'avais seize ans et, comme toutes les adolescentes de cet âge mais encore plus particulièrement celles qui avaient grandi sans amour, j'avais les hormones qui déconnaient. Pour compliquer les choses, il avait fallu que je m'enflamme pour une autre fille. Elle était ce qui se rapprochait le plus d'une meilleure amie, dans cet endroit bizarre où nous avions grandi ensemble, décalées de la réalité. Depuis que nous étions toutes petites, elle aimait me taquiner en me chatouillant le ventre. Mais voilà, nous avions grandi, elle était devenue tout à fait séduisante, et en me tordant de rire entre ses cuisses, je n'avais pas su contrôler mon désir. J'avais senti le rouge me monter aux joues, puis elle s'était reculée vivement, les yeux écarquillés, avec le teint livide de quelqu'un qui vient de voir un fantôme.

Muette, j'avais baissé les yeux et je n'avais rien vu d'autre que mes vêtements tombés sur le sol. J'avais disparu. Littéralement. Là où j'avais conscience de mon corps, je ne voyais que du vide. J'avais alors fui, comme si ça pouvait y changer quelque chose. J'avais fini par réapparaître, nue comme un ver, courant dans les couloirs vides, pour me réfugier dans ma chambre. Je m'étais rhabillée et, avec quelques vêtements de rechange dans mon sac à dos, j'avais quitté l'orphelinat pour ne jamais y revenir, ne sachant pas comment expliquer l'étrange phénomène dont avait été témoin mon amie.

Pendant quelques semaines, j'avais erré dans les rues, sans savoir quoi faire de ma peau. Je repassais sans arrêt ces images dans ma tête, cherchant une explication. Je mangeais peu, il faisait froid, les courtes nuits passées sur un banc de parc commençaient à dessiner des cernes sous mes yeux et je me sentais terriblement seule. Je m'étais réveillé un matin, roulée en boule sur un banc, et j'avais dévisagé l'homme qui s'était assis à côté de moi.

—  Vous avez pas un peu de monnaie? Pour manger...

—  Tu mérites mieux que ça, Alexandra.

J'eus un mouvement de recul, les yeux écarquillés de surprise. Comment cet homme connaissait-il mon nom? Allait-il me ramener à l'orphelinat? L'envie de disparaître à nouveau me prit au ventre. Mon instinct me disait de fuir mais ma curiosité l'emporta. Je finis par retrouver l'usage de la parole pour l'interroger.

—  Qui êtes-vous?

—  Je m'appelle Tom Johnson, je suis professeur dans une école très spéciale. Il y a longtemps qu'on est à ta recherche.

—  Une école? Ça a rapport avec l'orphelinat?

—  Pas tout à fait. Je sais ce dont tu es capable. Tu sais de quoi je parle. Tu as un don, Alexandra. Et mon école pourra t'apprendre à l'utiliser correctement.

J'avais détourné le regard pour réfléchir. De toute façon, qu'est-ce que j'avais à risquer? Je n'allais quand même pas passer ma vie à vivre dans la rue, à fuir les flics et les violeurs et à quémander pour manger à peine de quoi survivre... J'acceptai d'un hochement de tête docile, le suivis jusqu'à sa voiture et m'y glissai sans hésiter. Je n'avais jamais eu de parents pour m'apprendre à ne pas suivre les étrangers.