Vert végétal

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Je crois que Charles me manquait. Il fait le quadruple des autres ce chapitre. La chanson est un classique du brun à bouclette. Peut-être que vous la connaissez. 

Je n'écoute absolument rien en cours. Je suis un mur qui hoche la tête quand on s'adresse à lui et qui ne lâche que quelques mots quand ça lui chante. Seule Daisy a été mise au courant de la situation, de tout ce qui se passe dans mon cœur et de ma colère contre mes parents pour m'avoir caché un truc pareil. Elle n'a même pas essayé de me calmer, parce qu'elle savait très bien que ça allait être inutile. Je suis quelqu'un d'assez borné quand on touche à un membre de ma famille. Et malgré le trou de plusieurs mois sans nouvelles, Charles est extrêmement important à mes yeux.

C'est ainsi que je me retrouve à courir comme si j'étais poursuivi par mes pires cauchemars à la sortie même des cours. Comme ce matin, je pousse des gens en m'excusant du bout des lèvres, je ne fais pas vraiment attention à ce que je fais autour de moi. Seule importe la destination que je veux atteindre. Je n'y suis jamais allé, dans cet hôpital. Mais pendant une heure où j'avais répondu au professeur, j'ai abandonné la littérature française pour me connecter sur un ordinateur et chercher le chemin que je dois emprunter. Ce n'est pas la porte à côté, je dois attraper plusieurs bus. Mais tant pis, je sais très bien pourquoi je fais tout ça. Pour mon cousin qui a besoin de moi.

Une fois dans le premier bus, je reprends mon souffle, sous les yeux un peu ébahis des gens. Quelques un me proposent même leur place assise alors que je vais bien et que je ne suis pas fatigué. Je pense que l'adrénaline fait son petit effet sur mon corps. Le temps que le véhicule navigue sur la route, je respire à nouveau normalement. J'observe la photo de mauvaise qualité que j'ai prise de mon chemin, j'alterne entre l'écran brillant et le nom des stations, dont les points clignotent quand nous nous y arrêtons.

Je répète ce petit manège trois fois, le temps d'arriver à l'autre bout de la ville — au Sud ouest alors que le lycée est au nord. Ça fait déjà une bonne demi-heure que je suis sorti de cours. J'ai presque l'impression qu'on a fait exprès de l'expédier aussi loin pour qu'on ne prenne même pas la peine de venir le voir. Je monte peut-être des théories dans ma tête, mais avec mon oncle, on peut s'attendre à tout.

Lorsque j'arrive, mes yeux accrochent le panneau d'explication des étages de l'hôpital. Le service de pédopsychiatrie est au rez-de-chaussée, sans doute non loin de ma position. Je me prépare déjà à subir tout un interrogatoire. Je répondrais à tout, du moment qu'on me laisse voir mon cousin.

— Bonjour, dis-je en arrivant au poste des infirmières qui gardent le département, je viens voir quelqu'un.

J'ai vérifié, les heures de visite sont encore bonnes. Je suis déjà tranquille sur ce point.

— Votre carte d'identité, je vous prie. À qui souhaitez-vous rendre visite ?

— Arseneau Charles. C'est mon cousin, indiqué-je en lui tendant ce qu'elle me demande.

— Bien. Je vais vous attacher un badge et on vous mènera dans sa chambre. Vous avez un peu plus d'une demi-heure pour vous, il a ensuite rendez-vous avec son psychiatre. Évitez de lui apprendre de mauvaises nouvelles. Soyez optimiste. Essayez de sourire également.

— Oh, ne vous inquiétez pas, là-dessus, je suis carrément doué.

Une esquisse de sourire se dessine sur ses lèvres, mais bien vite effacé, comme pour montrer qu'il faut qu'elle reste sérieuse dans son travail. On m'accroche une pince sur ma chemise d'uniforme et on me fait naviguer dans les couloirs. On s'arrête devant la 567, où on frappe doucement sur le bois peint d'un jaune criard qui fait mal aux yeux. Mais contrairement à l'extérieur, la chambre est d'un blanc fade, qui ferait déprimer un arc-en-ciel.

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant