Cahot

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"Salut Damien."

Pas de réponse.
Mais à quoi je m'attendais ?

"Salut Thomas."

En tout cas je ne m'attendais pas à ça.

"Tu n'étais pas occupé ?
- Non, je suis là."

Effectivement.
Assit sur mon lit, il me regarde poser mon sac de cours à l'entrée de ma chambre.

J'entends ma mère au rez-de-chaussé.
Mais je n'ai pas envie de l'écouter.

Je n'ai pas envie de l'entendre.
Je n'ai envie d'entendre personne.

Personne ne sait ce qui me fait du bien.
Peu importe ce qu'on me dit.
Ce qu'on me fait.

Je suis tellement de formes à la fois que je deviens abstrait.

"Tu te sens bien ?
- Non. C'était horrible."

Damien hoche la tête, me détaillant de haut en bas.

Il doit avoir l'habitude de mes paroles confuses, de mes bribes de phrases sans aucun sens.
Mais il me connaît mieux que quiconque.

Ce n'est qu'à lui que je peux parler.
Que je peux échanger.
Que je peux me confier.

Tiens, aujourd'hui il n'est pas habillé comme d'habitude.
Il porte un pull gris.
Avec des écritures que je ne comprends pas.

C'est celui que j'ai vu hier.
Il lui va bien.
J'aimerai qu'il ne porte plus que ça.

Il n'est pas censé changer de vêtements si je ne lui indique pas.
C'était comme s'il l'avait deviné.
Comme s'il avait deviné que cette morosité me tuait à petit feu.

"Qu'est-ce-qu'il s'est passé ?"

Sa voix me berce.

Comme ses yeux, qui me sondent comme si c'était la première fois qu'ils me voyaient, d'un bleu presque irréel.
Arborant une expression indéfinissable.
Affichant une beauté presque intouchable.

Il ne bouge pas, mais j'aimerai qu'il me prenne dans ses bras.
Ses longues jambes sont croisées élégamment.
On dirait presque un des psychologues que ma mère m'a forcé à voir.

Comment peut-il être ainsi ?
Il est juste la création d'un esprit dérangé et perturbé.

"Ils t'ont enfermé cette fois ?"

Je le regarde.
Mes yeux me brûlent.

Mais mes larmes se sont toutes asséchées.

Je ne veux pas lui répondre.
Je ne veux pas qu'il entende ma voix faible.
Je ne veux pas qu'il m'entende.

"Parle-moi."

"Je ne veux que ton bien."

"Je serai toujours là pour toi."

"Je suis là pour ça."

Tiens, il n'a pas d'ombre.
S'il en a une, elle est brouillée par mes larmes qui recommencent à perler.

Je déteste être faible.
Je déteste être faible au point de pleurer.
Je déteste mon corps trop chétif qui donne une raison de plus aux autres de s'en moquer.
Je déteste ma façon de penser qui me dit qu'il y a du bon dans ce monde, mais qui me force à ne pas le chercher.

Parce que je ne le mérite pas.

Je me déteste.

"Tu as pensé à sauter ?"

Il me regarde toujours, de ses yeux presque chimériques.

"Oui.
- Pourquoi tu ne le fais pas ?"

J'ai l'impression de pouvoir me noyer dans l'océan de ses iris.

"J'ai peur.
- De quoi ?
- D'avoir mal."

Il rigole.
J'aime son rire.

C'est devenu l'une des rares choses qui me rassure.

"Pourtant tu n'aurai plus mal ensuite."

Il a raison.

"Mais je ne pourrai plus te voir."

Cette fois-ci il grimace.
Et il arrive à m'arracher un douloureux sourire.

"Tu ne peux pas me voir, Thomas."

"Tu ne peux pas me toucher non plus."

"Je ne suis pas réel, tu sais ça.
- Je sais."

Et à chaque fois qu'il le répète, j'ai mal.

Ma mère toque à ma porte.
Le téléphone sonne.
La radio est allumée.
La télévision crache des sons horribles.
Ma sœur crie parce qu'elle est seule.
Mon portable vibre.
Quelque chose tombe.
Se brise.

Je ne veux plus rien entendre.














Et si je sautais ?

Imaginaire - TerrainkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant