Chapitre 4- Coucher de soleil

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Le soir d'après, je me rendis donc sur les toits où j'avais laissé Camille. Je m'assis sur le bord d'un toit, les jambes dans le vide. Au bout d'un certain temps, je me mis à me poser des questions. Était-ce le bon endroit ? La bonne heure ? Ne viendrait-il pas ? Ou alors il était parti, il m'avait bien dit qu'il était de passage...

- Lia ?

Je tournai vivement la tête, quelques peu surprise.

- C'est moi, Camille. Tu te souviens ? dit-il soudainement, plissant les sourcils comme s'il s'inquiétait.

- Oui oui, tu m'as surprise. Dis, c'est vraiment la première fois que tu viens à Aquatea ?

- Ce doit être la dixième fois que je viens ici. A chaque arrêt je restais quelques jours, cinq tout au plus, mais cette fois-ci je reste deux mois.

-C'est vrai que deux mois par rapport à six jours, tu vas avoir le temps d'explorer ! lui dis-je en rigolant.

-J'aime être sur la mer, fit-il en haussant les épaules. Je me sens plus libre que sur la terre ferme . Et le Voguant est grand, alors je ne suis pas à l'étroit. 

- Alors tu vis vraiment sur un Voguant ? 

- Évidement que c'est vrai. Je ne mens pas, moi, dit-il en riant.

- C'est tellement rare...Ma grand-mère, Mama Naho, me racontait tout le temps des contes sur eux. Pour moi, c'est presque une légende.

Je repensai à toutes ces fois où, de la fenêtre de ma chambre, je guettais la mer des heures durant, espérant voir au loin un Voguant. Camille me donna une petite tape sur l'épaule.

- Dis moi, ça te dirais d'en voir un ? Et un magnifique en plus !

J'ouvris des yeux ronds. 

- Honnêtement, je serais tout à fait honorée ! Je n'ai pas visité beaucoup de bateaux, et encore moins ceux dont on raconte des légendes dessus.

Il rit :

- Ce sont de beaux navires c'est certains, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient à la hauteur de tes attentes si tu les voient comme des mythes. Le nôtre est bien sculpté, grand, certes... mais la plupart ne sont maintenant que des musées flottant, beaucoup ont de lourds travaux à faire mais les fonds manquent. 

Je ne dis rien, et le fixai d'un air déçu.

- Tu brises mes rêves, et tu dis en partis ça car tu vis dessus depuis petit, j'imagine. 

"Sûrement" dit-il, et aucun de nous deux ne repris la parole. Le soleil était déjà bien bas, et je n'allais pas tarder à rentrer. Mais je n'en avait aucune envie, il faisait bon, les rues et les canaux étaient presque vides à cette heure-ci. Mais surtout, je n'étais pas seule. Même si j'aimais la solitude et le calme, je rentrais tôt généralement pour avoir de la compagnie. Je n'avais pas d'amis de mon âge, préférant aider ma grand-mère à la maison que d'aller sauter dans l'eau d'en haut d'une falaise, comme la majorité des personnes de seize ans ici. La seule personne que je considérais comme étant mon "amie" était ma grand-mère. La solitude n'était pas un poids, et je n'étais pas rejetée par les autres. Je n'appréciais simplement pas leur compagnie.

- Lia ? Je ne vais tarder à rentrer.

J'hochais la tête. La fatigue me rattrapait aussi. 

- Pour le Voguant, ça te dirait de le voir, disons... après-demain soir ?

Je lui fis un grand sourire, ravie.

- Ça me va parfaitement ! Mais tu es sûr que cela ne dérangera pas tes parents ?

- Au contraire. Ils adorent rencontrer de nouvelles personnes et voir que je suis encore capable de sociabiliser après plusieurs semaines en mer !

Il n'était pas très sociable non plus, et là était peut-être la raison de notre bonne et rapide entente. 

-Avant de retourner sur ton splendide mais banal bateau, veux-tu que je te montre là où j'habite ? C'est juste à côté. 

Il acquiesça en souriant, et nous nous mîmes en route.

Je sautai sur le toit d'en face, me rattrapant à la cheminée rouge. Je pris les devants, choisissant avec soin les passages à prendre. Je me rendis vite compte que Camille suivait, comme hier soir, sans problème, alors j'empruntai des chemins de plus en plus complexes, accélérant le rythme. Je bondissais de toit en toit, passant les cheminées en sautant, escaladais les toitures biscornues, courais au bord des gouttières, et ce pendant les dix petites minutes de trajet. Enfin, je ralentis et m'arrêtai près d'une échelle, similaire à celle de l'autre soir. Camille me rejoignit presque immédiatement. Je souris intérieurement en voyant qu'il était tout de même un minimum essoufflé.

- Tu te rappelleras du chemin ?

Sa seule réponse fut une grimace effectuée en se tenant les côtes. Je le laissai reprendre son souffle, puis lui montra ma maison. 

- Alors, tu vois la fenêtre peinte en rouge, juste en face de mon doigt ? C'est ma chambre. La fenêtre orange à côté, c'est le bureau. La fenêtre bleue en dessous, c'est là que dort ma grand-mère, Mama Naho. Encore à côté, fenêtre jaune, le dortoir des enfants. Et au rez-de-chaussée, la porte d'entrée. Si tu ouvres la porte, tu entres directement dans la salle à manger, juste après il y a la cuisine, et derrière, l'atelier de Mama Naho. Et si tu te décale vers la gauche, tu verras notre canal. Enfin, je dis le nôtre, mais il est à tout le monde. Mais personne ne l'emprunte car il n'est plus assez profond. Les petits, ça les arrange, ils adorent jouer dedans.

Je me tus, et contemplai ma maison avec satisfaction. J'y avais toujours vécu, et c'était pour moi l'un des endroits les plus merveilleux du monde. Comme la majorité des bâtiments d'Aquatea, elle était en bois, vernie de plusieurs couches d'une sorte de colle durcissante. Cette colle protégeait de presque tout le bois qui en était recouvert. L'eau ne s'infiltrait ainsi pas dans le bois, et le feu ne prenait pas, et aucun insecte ne grignotait nos bâtiments. Sans elle, la cité entière ne tiendrait pas. Je souris en continuant de regarder ma demeure, quand je remarquai enfin le toussotement de mon voisin.

-Je vais devoir rentrer. Il se fait tard.

-Oh, oui, bien sûr.

- Merci beaucoup de m'avoir montré ta maison. Elle est très belle, on dirait celle dans les contes de fées.

Il sourit, et je lui souris en retour. Il ne pouvait pas mieux réagir face à ma maison. J'ouvris la bouche pour lui poser la question, mais il me devança.

- Demain, même heure, même endroit ?

-Pourquoi pas !

- Parfait ! A demain alors.

Il partit en me souriant, bondissant de toit en toit. Je souris et me levai à mon tour, et descendis l'échelle pour rentrer à la maison. J'étais en train de me faire un ami !

Les Terres PerduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant