Rose fait face au fleuve. C'est l'aube, et le soleil, qui commence tout juste à se pointer le bout du nez, crée des reflets orangés sur l'eau, incroyablement agitée. Incapable de dormir, elle s'est réfugiée près de l'eau, pour apaiser un peu son esprit. Des pensées tournent sans cesse dans sa tête, créant une boucle sans fin. Elle se demande qui, à part sa grand-mère, allait être là pour elle, maintenant que Gabrielle, sa mère, était partie. Tout s'était déroulé tellement vite qu'elle ne l'avait même pas encore totalement intégré. Le temps de quelques secondes, une violente collision et des heures d'inquiétudes, sa vie d'avant s'était éclipsée, dans un bruit sourd. Rose avait toujours trouvé que la mort était intrigante, voire épeurante. Mais elle venait tout juste de découvrir autre chose à son propos: elle faisait mal. La mort faisait mal, elle bouleversait, et elle changeait les perspectives de quiconque passait sur son chemin. Une chose était sûre, elle ne voyait plus le verre à moitié plein, car sa mère n'était plus là pour la raisonner. Ça, c'était le travail de Gabrielle, raisonner sa fille, qui avait toujours eu des tendances plus pessimistes qu'elle. Mais Gabrielle n'était plus là, alors Rose broyait du noir. Elle se sentait seule, incroyablement seule. Même si elle avait encore sa grand-mère, elle se sentait vide. Elle avait perdu sa meilleure amie, sa mère, sa confidente, et ça, il était difficile pour elle de l'accepter. À ce moment, elle espère seulement que le silence des flots va pouvoir apaiser ses tourments. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle est assise sur le rocher qui fait face à l'eau. Plusieurs minutes, peut-être même des heures. C'est en regardant sa montre que la panique s'empare d'elle, lorsqu'elle se rend compte de l'heure qu'il est. Elle s'imagine déjà sa grand-mère, bouillante de colère après qu'elle soit encore partie sans l'avertir.
En rentrant dans la maison, elle voit Clémence, sa grand-mère, visiblement énervée. Elle décide d'aller dans sa chambre, question de s'habiller en vitesse. En pénétrant dans la pièce, Rose a l'impression d'entrer dans un havre de paix. Le papier peint rose fleuri est un peu défraîchi et les meubles ont besoin d'un bon coup de peinture, mais la chambre n'en est pas moins charmante. Rose a de la difficulté à comprendre pourquoi Clémence lui parle depuis des mois de redécorer la pièce, qu'elle aime tant. Elle y tient parce qu'elle renferme tous ces plus beaux souvenirs, et penser à toutes ces beaux moments la rend un peu plus heureuse. Tellement qu'elle oublie parfois ses soucis. Elle ne pense plus à ce pourquoi elle ne peut dormir pendant la nuit, juste à tous ces moments passés avec sa mère, les plus beaux, comme les plus laids. Sur le coin de la commode, elle voit le cahier d'écriture de sa mère. La plus belle chose que Gabrielle avait transmis à sa fille, c'est la passion des mots. Elle avait toujours aimé écrire partout, et tout le temps. Lorsque Rose voit le carnet, elle se sent remplie d'une vague immense de mélancolie, surtout lorsqu'elle pense que les dernières pages vont rester vides à jamais. Son court moment de quiétude prend fin lorsque Clémence lui crie du rez-de-chaussée de descendre manger.
Alors qu'elle essaie tant bien que mal d'avaler ses céréales, Rose remarque que Clémence l'observe, avec instance. Elle décide donc de lui poser la question qui lui trotte dans la tête depuis un moment déjà.
«Comment tu fais ?
-De quoi tu parles ?
-Pour rester aussi forte, je veux dire. Je t'ai pas vu pleurer une seule fois depuis... Depuis que maman est... Partie.
-Je ne peux pas me laisser aller, j'ai des responsabilités. Tu comprendra quand tu aura une famille toi aussi. Va te brosser les dents, on doit partir.»
En attendant sa grand-mère, Rose va s'asseoir sur la balançoire de la galerie. Dehors, il fait beau, la pelouse est d'un vert éclatant et les fleurs commencent tout juste à éclore. Seule une douce brise vient tempérer la journée, aux allures estivales.
***
Lorsque Rose et Clémence passent les portes lourdes de l'église du village, elles remarquent que chacun des bancs, exceptés ceux d'en avant, sont remplis d'amis, de famille et de connaissances. Clémence se sent extrêmement touchée qu'autant de personnes se soit déplacées pour sa chère fille, Gabrielle. Rose, quant à elle, se sent affreusement gênée du regard que tout le monde lui jette, le regard de la pitié. Cette pitié, d'habitude si rassurante, qui lui laisse un goût amer dans la gorge. Une fois assise, elle attend patiemment que la cérémonie commence lorsqu'une main chaleureuse se pose sur son épaule. Elle se retourne, et voit sa tante, Catherine, splendide, comme à l'habitude.
«Catherine ! Je ne pensais pas que tu allais venir !
-Tu pensais quoi ? Gabrielle, c'était plus que ma soeur... C'était ma meilleure amie, mon idole, la seule personne qui était capable de me ramener les pieds sur terre. Je ne peux pas croire qu'elle n'est plus là...»
Rose prend un moment pour observer sa tante. Catherine a les cheveux d'un roux magnifique qui tombent comme des cascades sur ses épaules. Sa robe, d'un bleu aussi profond que ses yeux, embrasse parfaitement ses formes harmonieuses. Elle est tout le contraire de sa défunte soeur. Gabrielle ne jurait que par la simplicité, elle, l'extravagance. Frivole, lunatique, impulsive et artiste. Bref, tout ce qui peut devenir agaçant, mais qui fait aussi son charme.
«Pourquoi tu ne viendrais pas me visiter cet été à Québec ? Pour voir d'autre que le village, te changer les idées», dit Catherine.
Rose ne réponds pas. Elle est perdue dans ses pensées, dans ses inquiétudes. Elle fixe le vide devant elle, l'air calme, mais tourmentée. Rien à ce moment là n'aurait pu la sortir de cet état de semi-conscience.
«Je vais prendre ça pour un peut-être», renchérit Catherine, visiblement mal à l'aise par ce silence si peu habituel pour elle, qui essaye toujours de combler ces moments de calme par un mot, une phrase, aussi futile soit-elle. Du moment qu'il y a du bruit, elle se sent à l'aise
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Le temps des roses
ChickLitUn seul bouquet de roses par année. C'est tout ce qu'elle a eu, pendant seize longues années. Mais alors qu'elle vit la période la plus sombre de sa vie, il revient, en lui tendant la main. Il émerge dans son monde et bouleverse sa vie, par sa simp...