CHAPITRE 6

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Le lendemain alors que son dernier check-up fut un succès, Yaëlle rata un bond lorsqu'elle posa ses yeux sur l'horloge murale de sa chambre. Celle-ci affichait déjà neuf heures quarante-huit minutes. Julien! Elle allait le rater. C'était peine perdue de toute façon. Elle n'y serait jamais à temps. D'ailleurs, voulait-elle vraiment y aller à ce rendez-vous? La vérité? Bien-sûr que oui. Elle en mourrait d'envie. Non pas qu'elle avait encore des sentiments pour Julien mais durant tellement longtemps elle avait attendu ce jour où il lui présenterait enfin ses excuses. Et voilà, ce jour était arrivé et elle allait bêtement le rater.

Finalement elle se fit violence. Il n'était pas question qu'elle manque ce rendez-vous. Sans plus attendre elle enfonça toutes ses affaires dans son sac à main, enfila une robe et une veste que lui avait apporté Marjorie la veille et sortit de la chambre d'hôpital en trombe. À l'accueil elle signa sa décharge, remercia furtivement le personnel avant de littéralement s'en échapper.

Il fallait garder espoir! Elle n'arriverait sûrement jamais à temps mais il fallait tout de même qu'elle essaie. Toutefois, elle fit un arrêt dans un prêt-à-porter non loin de l'hôpital afin de s'acheter un bonnet noir en laine. Il était hors de question qu'elle se balade dans la ville avec ce sparadrap tout blanc au milieu de la tête.

*

Dans le taxi le trajet parut durer une éternité. Elle regardait sans cesse sa montre en grognant et en proférant des paroles à voix basse, un vrai supplice pour le chauffeur. Lorsqu'enfin celui-ci s'immobilisa devant l'endroit indiqué il était déjà dix heures et trente-deux minutes. Plus d'une demi-heure de retard! Quelle poisse! La mine de Yaëlle s'était étrangement assombrie. Il était évident qu'il n'y était plus. Connaissant Julien il n'aurait pas pu attendre aussi longtemps, même pour elle.

Elle remit nonchalamment au chauffeur de taxi son dû sans même attendre la monnaie en retour. Elle se tint un moment debout devant le bâtiment, songeant aux bons moments qu'elle y avait passé avec Julien. Soudainement hésitante, elle voulut faire immédiatement demi tour puis se rétracta en se disant que vu qu'elle y était déjà il fallait au moins en profiter.

Yaëlle poussa la porte d'entrée et aussitôt une bonne odeur de sucre et de friandise emplit ses narines. Comme ce parfum l'avait manqué! Mais pour une raison qui lui échappait encore, le fait d'avoir manqué Julien lui faisait horriblement mal. C'était comme si son bonheur futur dépendait de ces excuses qu'elle avait tant convoitée. Pensive, elle fonça dans le coin de la salle et s'assit à une table près de la vitrine. Il faisait froid dehors. Les gens étaient tous chargés de vêtements longs et lourds. Au moins, son bonnet ne faisait pas tâche.
Lorsque son téléphone vibra et l'interrompit dans sa contemplation, elle le prit en main et remarqua un message de Marjorie qui voulait savoir comment elle allait. Elle répondît que tout allait bien accompagné d'un smiley joyeux. Mais butée comme elle est, Marjorie avait besoin de plus d'explications. Elle demanda alors à Yaëlle où elle était et pourquoi cette dernière avait quitté l'hôpital si tôt, sans même l'en informer. La jeune dame pouffa, cherchant une excuse crédible.
Elle n'eut pas le temps de répondre qu'une main chaude et forte se posa sur la table où elle était installée. Elle sursauta puis se retourna pour tomber face au visage souriant de Julien, paré d'un pull jaune, d'un pantalon et d'une écharpe noire attachée autour du cou. Il ne manquait pas d'élégance. Elle ne put s'empêcher de lui rendre son sourire avant de l'inviter à s'asseoir. Prise par la suite d'un éclair de lucidité elle renferma sa mine, s'assit de façon très droite en croisant ses jambes et arbora son regard blasé.

- J'ai cru que tu étais déjà parti. Je ne voulais pas te faire attendre aussi longtemps. La circulation est très mauvaise dehors commença t-elle.

Julien parut s'étonner un instant mais redressa sa mine en un sourire en déposant deux grandes tasses de chocolat chaud à la chantilly sur la table dont l'un juste devant Yaëlle.

- Si le prix à payer était de t'attendre un peu plus que prévu je ne pouvais que le supporter.

Que répondre à ça? Elle n'en sût rien. Pour couper court au mélodrame elle incita Julien à passer au vif du sujet.

- Donc tu voulais me voir parce que...

- Yaëlle, je... Par où commencer?

C'est alors que peu sûr de lui au départ, Julien réussit tant bien que mal à exprimer à Yaëlle ses ressentiments. Il était désolé de l'avoir laissée tomber et regrettait chaque jour le mal qu'il lui avait infligé. Yaëlle essaya de paraître indifférente au début mais finit par s'adoucir suite aux déclarations de Julien. De plus elle ingurgita son chocolat chaud à la vitesse de l'éclair. Qui donc pouvait résister à un tel plaisir gourmand en ce temps froid? Il n'en fallut pas plus à Yaëlle pour que cette dernière ne lui accorde une « cessation de feux ». Oui il l'avait blessé mais pour elle, continuer à lui porter rancune revenait à lui conférer une éternelle importance dans sa vie ce qu'elle n'envisageait nullement. Autant en finir avec cette histoire et se libérer de ce poids. Pour toujours.

Après trois longues heures de discussion, de rires et de désolation, son ex petit-ami proposa de la raccompagner chez elle. Les tensions semblaient avoir baissé entre eux. C'est ainsi que sur le chemin du retour, ils empruntèrent un petit raccourci qui débouchait sur la bordure d'un étang tant fréquenté pour sa beauté que pour son calme extraordinaire. L'on pouvait apercevoir tout autour un grand espace vert et de nombreux passants, amoureux ou juste heureux et de toute génération s'y extasier. Yaëlle et Julien avançaient ainsi sur le petit chemin qui bordait ce magnifique endroit. L'un à côté de l'autre, ils avaient enfoui leurs mains dans leurs poches afin de palier à l'importance du froid.

- Je sais que ça va te paraître étrange comme question de ma part mais juste pour savoir, tu vis toujours dans ton ancien appartement?

- Tu veux dire celui dans lequel tu m'as laissée?

Julien ne sembla pas digérer la blague tant son expression changea d'un coup.

- Je déconne tu sais rajouta t-elle pour détendre l'atmosphère. J'y suis toujours. Troisième étage, avant dernière...

- ... porte à gauche, continua t-il en souriant.

Il y avait passé tellement de temps. Comment ne pas s'en souvenir? Étrangement une certaine gêne s'installa en Yaëlle. « Il s'en souvient encore » pensa t'elle. Cela signifiait-il quelque chose? Peut-être de la même façon qu'il n'avait pas oublié ces détails il ne l'avait pas aussi totalement oublié elle? Mais non, il était hors de question de penser à cela. La jeune dame dissipa ce nuage de réflexion en concluant que de toute façon, elle n'avait plus aucun sentiment pour lui et qu'ainsi, peu lui importait ce qu'il pouvait ressentir ou pas pour elle.

- Et, si je peux me le permettre tu es avec quelqu'un en ce moment?

Le cœur de son interlocutrice rata un battement. Elle savait que tôt ou tard ils aborderaient cet aspect de sa vie. Qu'allait-elle lui dire? Qu'allait-elle faire? Lui mentir qu'après leur rupture elle avait sû retrouver amour et bonheur dans les bras d'un autre ou lui avouer qu'après la trahison dont il avait fait preuve à son égard, elle ne se sentait toujours pas prête à faire de nouveau confiance à la gente masculine?
De plus le souvenir de cette jeune femme blonde à ses côtés la fois précédente lui revînt à l'esprit. Ainsi lui il avait refait sa vie. Serait-elle seulement capable de lui avouer que contrairement à lui elle n'avait pas évolué depuis leur séparation? De plus, pourquoi hésitait-elle tant si elle était sûre que la personne de Julien ne l'affectait plus ni de près, ni de loin?

L'homme cessa d'avancer et obligea Yaëlle à faire de même en lui prenant subitement par la main. Il se tint devant elle l'air grave et la mine sérieuse.

- C'est très important pour moi Yaëlle. Je veux vraiment savoir.

Au même moment, Yaëlle dont les yeux étaient intensément plongés dans ceux de Julien fut interrompue par la sonnerie de son téléphone. N'ayant plus de réponse à ses messages, Marjorie était donc passée par les appels vocaux. Malheureusement Yaëlle s'abstenue de lui répondre trop occupée à ressasser de vieux souvenirs avec son amour d'autrefois. Elle sortit son téléphone de son sac qui affichait déjà quatre appels manqués d'une seule et même personne. Elle le mit sous silencieux et le glissa à son emplacement précédent.

De retour à Julien, il était toujours là attendant une réponse sincère de son ex. Seulement, cette vérité la méritait-il?

L'arrangement (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant