Clos

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        Les secondes s'écoulaient. Un flot brutal subsistait à faire balancer les aiguilles de ma montre entre le 3 et le 9 comme un bateau qui tangue. Seul dans ce dortoir, j'observais le va et vient de la petite aiguille de l'horloge qui se noyait dans la routine du temps et j'entendais , au-dessus des bruits du silence, son inexorable plainte mécanique, au rouages mal grippés. Seul dans le lit, c'était le cadran qui me fascinait. Sa surface argentée dans l'appel de la nuit créait cette douce envie , cette incitation à fermer les yeux pour rêver d'un monde sans cesse renouvelé, sans cesse immaculé; un monde où se mêleraient le néant et le silence, tel un abysse où la pression du temps serait absente et la lumière source de toute imagination. Seul sous les draps blancs, je voyais cet émissaire du temps. Sous son air revêche, il prononce à mis voix des propos qui font sens à l'existence:

" Regardes! Chaque secondes qui courent vers toi pour te fuir ensuite représentent un pas sur le sable chaud, doux et immersif de la jeunesse. Il viendra un jour où, par un nombre croissant de tempêtes, le sable s'en ira, laissant à nue les pointes rocheuses des récifs froids, tranchants et humides. Alors blessé par ces pics et ces éperons tranchants, tu t'immergeras peu à peu dans une mer houleuse et fatale, dont le cou, les jambes et la tête jamais ne ressortiront."

Je l'écoutais, sans rien dire en retour. J'aurais voulu pourtant le contredire, lui montrer qu'il se trompait . Mais rien, rien ne va à l'encontre de ce tsunami de vérité qui ravage tout, détruit tout sans espoir de lutte et s'engouffre à l'intérieur des terres, là où jamais l'océan ne s'avance d'habitude, laissant d'antan en paix toute vies et toutes civilisations.

Je parcourais de mes yeux la pièce rectangulaire dans laquelle je me tenais. D'un seul regard, je fixais désormais une canne à pêche de bois et d'acier qui appartenait à un ancêtre désormais annihilé. Les gens à travers les filets du temps, disaient de lui un être bon, généreux, altruiste, honnête. Les poissons eux, du reste, en pensaient que trop peu de ces affirmations. Le fil dans une main et les chimères dans l'autre, cet homme pouvait se satisfaire mieux de leurs chaires que de leurs propos rageurs...

Pourquoi était-elle là? ce n'était pas ma chambre. Ou étais-je? je ne connaissais pas cet endroit vide de vie, je connaissait seulement cet ensemble dans ma tête de sons répétés et stridents  d'un oscillogramme, d'un cardiogramme, peut-être à cotés de mon lit. Une multitude de cables et de tuyaux rentraient dans ma chaire, dans mon nez dans ma bouches... j'étais une marionnette de sang qui ne faisait rire que moi dans cet endroit froid et lugubre. Finalement il me semblais que seul mon lit figurait comme protection rassurante, douce et à la fois chaude.

De ce support, je me sentais, quoique assez bas par rapport au sol, voler au dessus de ces auteurs d'outre tombe dont la gloire passée n'est plus que poussière. Leurs livres, empilés sous mon lit, n'aspiraient qu'à édifier le temple de mon imagination; Un temple, mélangeant tous les styles, tous les genres, toutes les époques qu'elles soit passée, présent ou bien futur de la connaissance humaine amassée depuis son apparition jusqu'à son extinction... Ce n'était malheureusement dans ma tête que poussière d'imagination qui bientôt serait balayée et inscrite dans les méandres de ma pensée et oubliée de tous.

Du plus profond de cet amas de coton dans lequel je baignais, je cherchais à continuer mon voyage à travers le ciel et les étoiles luisantes du noir et profond espace. Il ne me restait cependant ces lourdes cloisons à franchir, ces murs qui me retiennent, cette peau qui me contient. Les mur gris, parfois nuancés avec du bleue ,reflétaient à mes yeux fatigués et comblés, la mort de l'aurore et la naissance du crépuscule que j'entrevoyais vaguement. Le sol était inexpressif, inintéressant; et pourtant, je voulait créer un dernier idéal à partir de ce sol, dans cette chambre. Sans doute nageais-je en plein délire mais ce sol inerte transparaissait désormais dans mon imaginaire comme ponton de navire écumant les flots tumultueux du détroit de Magellan. Dans cette illusion, j'observais devant moi le bleu azur d'un ciel illuminé des rayons du soleil et parsemé de nuages blancs flottant dans ce bleu magnifique, cachant parfois l'astre suprême et me faisant reparaitre quelques instants dans la pénombre. Poussé par un alizé, je fut transporté au grès du vent vers un avenir plus clair, plus beau; seul échappatoire à la violente tempête menaçant mon existence. A l'arrière du navire, un brouillard  flagellait la surface de mon dos, se mêlait aux cicatrices putrides déjà existantes, et laissait à vif les blessures et marques du passé sur ma chair. Au dessus de moi, les voiles de ce monocoque, d'un blanc coton, masquaient désormais le ciel et l'horizon. Les cordages eux s'emmêlaient lentement autour de moi, venant à prendre ma gorge et à m'étouffer. Doucement, je sentais l'embarcation s'envoler au dessus des flots brutaux, laissant au monde les besognes humaines, les cries aux enfants, la passion aux amoureux, les rires aux  vivants, les pleurs aux veuves et veufs de ce temps. Je voyais le monde devenir plus petit, les villes devenir des points, les continents se transformer en des bandes de terres, et la Planète se métamorphoser en une bille bleue, verte d'enfant jouant dans une cour de récréation . 

J'eus le dernier souvenir d'une lampe accrochée au plafond d'une pièce close sans portes, sans fenêtres dans laquelle je trouvais repos dans un immense hamac . Je me levais, et je parcourais de ma main le mur froid et lisse qui servait de contours à cet endroit vide. Un bruit sourd me força à tourner la tête. Je me retournais, le hamac avait disparu. A la place, un papier avec écrit: "C'était la dernière pièce".

Soudain, comme par magie la pièce empêcha la lumière de s'enfuir. Comme un récipient qui se remplie d'eau, l'endroit devint plus clair, plus lumineux, de manière à ce que, aveuglé par cette incandescence lumière qui me brulait la rétine, je me résolu à fermer mes yeux et à ouvrir la porte de la pièce pour toucher enfin à la liberté.


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