7.Louis

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Je n'avais pas vraiment l'intention de raconter à tout ce petit monde que j'avais croupi en prison, mais en voyant Avigaël prête à tout déballer, j'ai pété un câble. Ce programme est une connerie monumentale. Ils s'imaginent que parler de l'accident arrangera miraculeusement les choses. J'ai un truc à dire à Damon, et à tous les autres. Rien ne pourra me rendre ma foutue vie. Rien n'effacera les deux années que je viens de me taper. Rien ne changera quoi que ce soit au fait que je n'ai plus d'amis, plus de famille. En réalité, je... suis en mode survie.

En trouvant Avigaël en pleine conversation avec Niall, j'ai eu envie d'attraper ce gus par le collet et de lui foutre mon poing dans la figure.

Je parcours la salle des yeux et repère un mégaphone près de la porte d'entrée.

– Louis, ne fais pas ça ! s'écrie Avigaël.

Ignorant Avigaël, je traverse la pièce pour aller le décrocher. Puis je déclenche la sirène d'alarme. Un bruit assourdissant retentit dans tout le bâtiment – ce dont je me félicite parce que comme ça, j'ai immédiatement l'attention de tout le monde.

J'applique le porte-voix contre mes lèvres.

– J'ai quelque chose à vous dire, je beugle.

Damon est dans la file d'attente, un plateau plein à ras bord entre les mains. Je m'attends à ce qu'il se rue sur moi pour m'arracher le porte-voix, mais il n'en fait rien. Au contraire, il pose son plateau et me fait signe de continuer.

– Je suis rentré ivre d'une fête du lycée.

Quand les mots jaillissent du mégaphone, je ne reconnais pas ma voix.

– J'ai renversé une fille et je l'ai laissée là, dans la rue, sans savoir si elle était morte ou vivante. J'étais sur le point de décrocher une bourse pour faire de la lutte à la fac. Je n'avais pas envie de bousiller mes chances. Alors je l'ai abandonnée. J'ai fini par me faire pincer et j'ai écopé d'un an d'emprisonnement.

J'éteins le porte-voix. Le silence est total. J'imagine assez bien de quoi j'ai l'air... D'un jeune athlète qui a déconné et qui maintenant se plaint. Personne ne va s'apitoyer sur mon sort. Non pas que j'en aie envie.

Je porte mon regard sur Avigaël. Elle me tourne le dos en secouant la tête. Elle me bannit de sa vie, une fois de plus, et je m'en fous. Je rallume le porte-voix.

– À ma sortie de l'E.P., j'ai eu une relation avec ma victime.

Plusieurs ados écarquillent les yeux, abasourdis. Ils chuchotent entre eux.

– On s'est embrassés, on a flirté... Elle m'a fait entrer chez elle en douce, et on a dormi ensemble. Les gens m'avaient déconseillé de sortir avec elle, mais je l'ai fait quand même. La plus grosse erreur de ma vie !

Du coin de l'œil, je vois Avigaël se lever de son banc et se diriger furtivement vers les portes battantes. Ce bon vieux Niall lui emboîte le pas.

– Avigaël ! je braille dans le porte-voix.

Elle tressaille, s'arrête net.

– Voudrais-tu ajouter quelque chose ? J'ai sauté l'épisode dans le belvédère de Mme Reynolds.

J'adopte les préceptes de cette Avigaël qui clame à tout vent qu'il vaut mieux vider son sac plutôt que de garder les choses pour soi. J'espère lui avoir fait changer d'avis. Elle comprendra peut-être, enfin, qu'il vaut mieux parfois vivre dans l'illusion que d'affronter la réalité.

– C'est elle, la fille dont je parle, dis-je en pointant le doigt sur elle.

– Ferme-la, Louis, siffle-t-elle.

– Ça fait mal, la vérité, hein ! j'ajoute en lui tendant le mégaphone.

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