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Margaux a levé la tête de son téléphone. Elle a regardé autour d'elle, analysant, décryptant chaque attitude, chaque expression des personnes qui l'entouraient. Ces personnes, elle ne les connaissait pas réellement. Alors elle les scrutait, une par une, tout en continuant la conversation décousue qu'elle tenait avec la fille assise à sa droite. Elle hochait la tête, réagissait, riait aux paroles de l'autre mais son esprit était ailleurs. Régulièrement, elle allumait son téléphone comme par réflexe, répondant machinalement aux dizaines de messages qu'elle recevait, donnant les réponses qu'on attendait d'elle. Tous ces gens ne comptaient par vraiment pour elle, mais elle s'amusait à les sonder jusqu'à leurs pensées les plus intimes. Que pensait cette fille ? Était-elle heureuse ? Menait-elle la vie dont elle rêvait ?

Sa longue chevelure brune tombait de part et d'autres de son visage lisse et allongé. Elle cachait derrière ce rideau de cheveux une bouche pleine et un nez retroussé. Ses yeux grands ouverts étaient tantôt baissés vers son écran tantôt braqués sur l'âme des autres, ou se perdant dans le vide.

Margaux se demanda ce qu'elle faisait là. Elle se demanda aussi pourquoi elle aimait porter ce que tout le monde porte. Serait-elle fausse ? Quelle image est-ce qu'elle donnait d'elle ? Pourquoi est-ce qu'elle s'empêchait d'être elle-même, par peur du jugement, de l'étiquette qu'on collerait sur son front ? Elle n'osait montrer au grand jour ses capacités de création et de réflexion. Elle n'assumait pas son penchant pour la lecture et l'écriture face à ces incultes. Elle cachait son être intérieur, bien enfoui sous les manières et les attitudes que tout le monde arborait. Elle a choisi la solution de facilité en se fabriquant ce masque, le beau masque que toutes se sentent contraintes de porter. Mais elle ne regrette pas, elle se dit qu'elle est plus heureuse comme ça, qu'elle n'a pas à travailler dur pour qu'on l'accepte puisque le masque lui ouvre grand la porte de la popularité.

Elle a cherché qui elle choisirait de garder en mémoire plus tard parmi tous ces gens. Seuls quelques uns ressortaient vaguement. Margaux savait aimer, aimer vraiment, aimer profondément, mais elle s'entourait des mauvaises personnes. Elle sentait battre en elle une énergie puissante, intense, qui ne demandait qu'à être libérée. Son sang était vif, son esprit cartésien et efficace. Mais à chaque instant, elle tentait de drainer ce flot incroyable pour ne pas dépasser des clous.

Elle attendait le jour où enfin elle pourrait dévoiler au monde toute l'étendue de son cœur.

Parfois, elle se plaisait à se laisser aller, à laisser filer le temps en savourant les secondes, à oublier ses barrières pour dévoiler un sourire franc et sincère. Ce sourire, c'était son essence même qui faisait surface, sous forme d'éclairs soudains et libérateurs. Ces moments étaient rares et précieux, elle les réservait aux privilégiés qui avaient la chance de l'avoir déjà vue ainsi. Oui, ces privilégiés étaient vraiment privilégiés. Car rien n'est plus beau que de découvrir le vrai visage de l'acteur quand le masque tombe.