17.[Akira]

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17.[Akira]
                             Mardi 20 octobre 2013,

Je brosse les cheveux d'Eiji, l'air distrait. Je ne pense pas qu'il va s'en rendre compte, vu qu'il dort, enfin.
Je ne le savais pas au début, mais j'ai fini par réaliser quelque chose au cours de ce mois avec lui... Je crois qu'il a dû vivre un paquet de choses, malgré le peu qu'il en dise.
Eiji dort assez mal, aussi, d'après ce que j'ai pu constater, même si moi, j'ai le sommeil lourd, donc je sais pas trop.
Son visage est crispé, même s'il est endormi, et ses doigts se referment sur les miens.
⁃ Eiji?
Il ne se réveille pas.
Quand je vois ça, j'ai besoin de savoir. J'ai jamais osé lui poser une quelconque question sur sa vie, mais en vrai, je pense que je vais essayer.
⁃ Eiji?
Je me sens mal de le réveiller. Mais vu sa tête, c'est pas vraiment agréable, de dormir. Il entrouvre ses yeux verts, et me fait un léger sourire.
⁃ Oui? Tout va bien?
Il se redresse un peu sur son lit.
⁃ Je voudrais te demander quelque chose.
⁃ Vas-y.
Il serre un peu plus les doigts dans les siens.
⁃ Pourquoi... tu dors mal? Tu vas mal? Tu m'as jamais parlé de toi, et...
⁃ Akira. Ce n'est rien. Je vais bien, tu sais. Ne t'inquiète pas.
⁃ Ne me mens pas. Je t'observe, tu sais.
Il plisse les yeux, me sourit toujours, et se laisse tomber contre moi. Je suis assis sur son lit, et je le récupère.
⁃ A-chan, ça ne sert à rien que je te dise quoi que ce soit...
Sa voix est étouffée par moi. Je le prends par les épaules et je le relève.
⁃ Eiji, fais-moi confiance.
⁃ Mais...
⁃ Parle-moi! Dis-moi!
Dans ses yeux, je vois le doute. Je sens ses épaules trembler. Pourtant, son sourire tranquille reste sur ses lèvres. Il semble se reprendre. Il se lève, et va ouvrir son armoire. Il en sort son uniforme et commence à se déshabiller.
⁃ Tout va bien, je t'ai dit. Pas besoin de t'inquiéter autant.
J'ai un drôle de sentiment qui me ronge. Pourquoi est-ce qu'Eiji ne me dit rien sur lui?
C'est parce que je ne suis pas digne de confiance?
Ou bien qu'il a un secret qu'il ne peut pas révéler... Il laisse tomber sa chemise de pyjama au sol, et je découvre sur son dos une énorme cicatrice rouge luisante, du côté de l'épaule gauche.
⁃ Eiji.
Il tourne la tête.
⁃ Oui?
Je me lève à mon tour et pose une main sur son épaule. Il tressaille.
⁃ Qu'est-ce que c'est, cette cicatrice?
⁃ Ah... C'est...
⁃ Encore une chose que tu ne peux te résoudre à m'expliquer?
⁃ Pas vraiment... Je suis tombé dans les escaliers il y a un moment, maintenant. Trois mois avant d'arriver dans cette école.
⁃ Les escaliers? C'est vraiment dommage, hein. Maintenant, t'es tout amoché.
J'ai tellement eu l'impression que ça sonnait comme un mensonge que j'ai même plus envie de lui parler.
Je m'habille vite, et en silence. Eiji est clairement troublé, et me jette des regards furtifs, alors qu'il enfile sa chemise blanche. C'est la première fois que je remarque les marques sur ses avant-bras. Qu'est-ce que c'est, en fait? C'est encore rougi et des tas de croutes se sont formées dessus. Des blessures?
De la mutilation? Je pousse un soupir assez fort pour qu'il l'entende, boutonne mon gilet et je l'attire violemment à moi. Je murmure à son oreille, comme je ne sais pas me taire :
⁃ Je ne sais rien de toi.
Il se recule, et ses yeux verts brillants me regardent d'un air inquiet. Je lui fais un grand sourire.
⁃ C'est ironique, vraiment. Alors qu'on sort ensemble...
Je passe mon sac à dos bleu ciel sur Mon épaule et je lui fais un signe de main.
⁃ Salut.
⁃ A-cha-
Je ne prends pas le temps d'écouter ses complaintes et je claque la porte derrière moi en sortant. Il n'est même pas trop tôt pour aller en cours, mais c'est pas comme si j'allais y aller.
J'ai envie de réfléchir.
Qu'est-ce qui m'a pris de lui parler comme ça?
Qu'est-ce qui lui a pris de me cacher toutes ces choses?
Et déjà, quelles choses, hein?
Ça fait déjà depuis quatre mois que je le connais, et deux qu'on est dans le meme dortoir, et j'avais jamais vu ses cicatrices... À quel point ce mec est consciencieux, hein? C'est quoi son problème, à s'arranger pour cacher des choses pareilles, pendant aussi longtemps...?
Et ne rien me dire, alors qu'on sort ensemble... Il se fout de moi?
Je sors de l'enceinte de l'école, et prend un bus, n'importe lequel. Le tout, c'est de m'éloigner de cet endroit.
Je cherche dans ma poche après les écouteurs, et branche mon téléphone.
Le roulement du bus et la musique m'emportent dans mes réflexions. Si Eiji ne me parle pas, je vais devoir découvrir tout ça par moi-même.
Parce que j'ai besoin de savoir. Je me sens tellement frustré que je pourrais pleurer. Je cours aux portes, et je descends du bus dès que je peux. Le temps que je revienne, Eiji sera parti.

[Eiji]
Je me sens mal, je vais vomir, je pense.
Je me laisse tomber sur le plancher qui grince.
Je... ne voulais vraiment pas que ça arrive. Si seulement j'avais été meilleur... j'aurais pu effacer le passé. Et ne jamais impliquer Akira.
⁃ Maintenant, je suis obligé de lui expliquer...?
Personne ne répond à ma voix vide. C'est normal, il n'y a personne à part moi.
⁃ Et... s'il me déteste...Bien sûr qu'il me déteste.
Tout le monde me déteste.
Je regarde mes bras. Je devrais peut-être recommencer.
Parce que je suis seul. Je suis toujours seul.
Je plisse les yeux, et des grosses gouttes tombent sur mes bras.
Je ne dois pas pleurer comme ça. Mais... je ne veux pas qu'il me laisse.
Je ne veux pas qu'il m'abandonne.
Je déteste ce que je suis. Je suis comme ça depuis toujours. Je mets une main devant ma bouche, pour étouffer mes sanglots.
Reprends-toi, Eiji.
C'est presque impossible pour moi de me reprendre... Je suis un peu inutile, non?
Et si je lui dis tout, qu'est-ce qu'il va m'arriver?
Il se moquera de moi?
Il ne voudra plus sortir avec moi?
Probablement, hein.
J'essaie de me contenir et d'essuyer les larmes qui coulent sur mes joues. Je me recoiffe, me rafraîchis, puis me décide à aller en cours.
Il faut que je demande à Akira de parler.
Tout va bien, Eiji, accroche-toi.

J'arrive un peu en retard en classe de math, accueilli par une remarque de Yuuya-sensei.
⁃ Ah, cette fois, Mitsukane aussi est en retard? La prochaine fois, ramène Matsuoka avec toi.
Akira n'est pas venu...?
⁃ Je suis désolé.
Je vais m'asseoir à ma place habituelle.
À la sortie, Miyako est déjà en train de m'attendre.
⁃ Eiji! T'aurais pas vu Akira?
Je secoue la tête.
⁃ Il n'est pas venu, je crois.
⁃ Ça va, t'as l'air pas bien?
Je lui fais le plus beau de mes grands sourires.
⁃ Oui, t'en fais pas. Tu viens?
⁃ Oui. Et tu sais quoi...
Elle commence à me raconter des tas de choses, que j'entends à peine.
Elle est rassurée, au moins.
Je ne peux malgré tout penser qu'à ce matin... et à Akira.
Akira... je ne peux pas abandonner comme ça. Même si il me déteste parce que je n'arrive pas à lui parler, si je lui parle, est-ce qu'il va m'écouter?
Comment savoir s'il va me détester si je n'essaye même pas?
Est-ce que je suis prêt à lui raconter ça, déjà?
⁃ Miyako, désolé, je dois sortir une minute.
⁃ Attends, les cours vont commencer, hé, Eiji...
Je sors par l'entrée principale. Dehors, il gèle.
Je compose son numéro machinalement sur mon téléphone, que je devrais changer, d'ailleurs.
⁃ Akira?

[Akira]

Je suis arrivé au dortoir. Sérieux, j'aurais dû prendre une veste, il faisait super froid, dehors...
Je lance presque les affaires par terre et je retire mes chaussures.
Je m'approche de son bureau,et-
Ah, mon téléphone sonne.
⁃ Oui?
⁃ C'est Eiji.
Oh, tiens.
⁃ Qu'est-ce qu'il y a ?
Il marque un temps avant de répondre.
⁃ Pourquoi tu n'es pas venu en cours?
Haha, te fous pas de moi. Comme si tu savais pas... T'as pas envie de me croiser, hein?
⁃ Tu te prends pour ma mère?
J'ai peut-être été un peu fort là...
⁃ Pardonne-moi, pour ce matin.
C'est bon, j'avais vu ta tête ce matin, j'ai compris que c'est ma faute...
⁃ Ouuuuuuuh, comme c'est étonnant, comme réplique.
Mais... qu'est-ce qui m'arrive, pour que je sois comme ça... ?
⁃ J'aimerais que tu m'écoutes, A-chan, je suis sérieux.
Calme-toi, Akira, ne lui parle pas mal... Je sais pas pourquoi, mais je suis pris d'une envie de l'engueuler, il faut que je me retienne.
Je repense à son air inquiet de ce matin, et j'essaye de me calmer.
⁃ Mais je t'écoute, là.
⁃ Je...
Il prend une grande inspiration et cesse d'hésiter.
⁃ Je vais tout te raconter. À propos de moi. Même si je ne sais pas si j'y suis vraiment prêt, je te raconterai au moins ce que je peux.
Sa voix tremble un peu.
Est-ce que c'est moi... c'est moi qui l'oblige à me dire tout ça ...?
⁃ A-chan?
⁃ Oui?
⁃ Ne...me déteste pas. Ne m'abandonne pas... Je t'en supplie.
⁃ Hein...?
⁃ A dix-huit heures devant le portail, d'accord?
⁃ Je serai là.
⁃ Merci, A-chan.
Il raccroche, et je m'assieds sur sa chaise.
Pourquoi est-ce que je suis bouleversé?
J'ai un pressentiment qui m'étouffe, qui remonte dans ma gorge.
Je ne veux pas faire souffrir Eiji, et j'ai l'impression que ce qu'il va me raconter va à l'encontre de ça.
Mais j'ai tellement envie de savoir.

[Eiji]

Il pleut, maintenant. J'ai froid, et A-chan est en retard. Mes cheveux sont trempés, mes vêtements aussi d'ailleurs. Peut-être qu'il ne viendra pas.
Je m'assieds par terre, près du portail. Au point où j'en suis, c'est pas un peu d'eau qui va changer quelque chose.

Jour de pluie (Ame no Hi) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant