Chapitre 23 : manger ou se faire manger ?

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LORSQUE JE rouvris les yeux, tout était blanc. Les murs, le mobilier, la femme en face de moi.

   « C'est vous, ma colocataire du paradis ? demandais-je en me relevant sur les fesses.

   — Oh, je savais qu'elle aurait pas dû mettre ces médicaments, grommela-t-elle. »

   La femme s'essuya les mains sur sa blouse et s'approcha de moi. Je lus Dr. Loizeau sur son badge.

   « Ne t'en fais pas, Raphaëlle, tu pourras sortir très bientôt. Ton père t'a amené ici suite à un malaise. C'est loin d'être le premier que tu faisais, apparemment.

   — Oui, mais ça va mieux.

   — Ça ira mieux si tu manges."

   Je haussais les épaules, lui montrant que je ne croyais pas à ces sottises.

   "J'ai pas très faim.

   - Je comprends." 

   Elle se tourna et prit un plateau posé sur un charriot que je n'avais pas vu avant. 

   "Mais il faut que tu manges. La nourriture n'est pas ton ennemie, tu sais, m'informa-t-elle d'un ton caressant."

   Le plateau repas était constitué d'une purée, de poisson sans sauce et d'un petit bol de fruits en conserve.

   "J'ai quelque chose pour toi. Je l'ai chipé à la cuisine, ne le dit à personne, me confia-t-elle avec un rire doux." 

   De la poche de sa blouse, elle tira un petit paquet de sel et un morceau de pain, ainsi qu'un petit carré de beurre.

   "On a beaucoup de plaintes sur la qualité de notre repas. Tu veux un bout de pain ?"

   Je secouais nerveusement la tête et elle me tendit la fourchette.

   "Mange un peu, d'accord ?"

   Jamais je n'aurais cru que ma main tremblerait autant qu'en tenant cette fourchette entre mes doigts. Totalement paniquée, je ne pouvais porter la fourchette à ma bouche. Le docteur Loizeau posa sa main sur la mienne et guida la fourchette jusqu'à mes lèvres. 

   Les larmes remplirent mes yeux.

   "S'il vous plaît, suppliais-je d'une voix faible." 

   Une larme coula le long de ma joue. Le docteur l'essuya du bout de ses doigts et glissa la purée dans ma bouche. 

    Ma langue s'agita au contact de la purée tiède et je l'avalais difficilement, le visage larmoyant.

   "Tu veux du sel avec ?"

   Incapable de parler, je secouais la tête en reniflant, les larmes coulant abondamment. 

   "Quand j'étais petite, je faisais quelque chose avec ma purée. Attends deux minutes, tu vas goûter."

   Elle creusa un trou dans le purée et y glissa un morceau de beurre, puis attendit qu'il fonde avant de tremper un bout de pain dans le liquide.

   "Goûte, proposa-t-elle. 

   - Si je goûte pas, vous me laisserez pas sortir, pas vrai ?"

    Sa moue désolée me fit comprendre que non. J'inspirais difficilement et pris une minuscule bouchée du pain imbibé de beurre qu'elle me tendait. Réalisant toutes les calories que ça devait faire, je me mis à pleurer. 

   "Tu vas t'en sortir, Raphaëlle, chuchota-t-elle d'une voix réconfortante."

    Mais j'étais faible. Affreusement faible. 

Dernière valse.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant