Je sursautai et fis aussitôt volte-face. Les battements rapides de mon cœur ralentirent un peu quand je vis que ce n'était qu'Antoine qui m'avait parlé.
Nous marchâmes un peu, avant que l'Insoumis soumis n'ouvre une porte. Nous nous y engouffrâmes. Ce que je vis me coupa le souffle : nous étions dans une immense salle pourvue de centaines d'ordinateurs, sur lesquels des jeunes de douze à trente ans travaillaient.
Antoine les ignora superbement et m'entraîna avec lui. Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis à travers une vitre des adolescents s'entraîner au combat, dans une synchronisation hors du commun. Un robot leur indiquait les mouvements à suivre, et les jeunes combattants les faisaient chacun à la perfection. Un profond sentiment d'admiration s'empara de mon corps.
Perdue dans ma contemplation, je fus obligée d'accélèrer le pas pour rattraper Antoine qui lui ne s'attardait pas comme moi pour admirer ces adolescents soldats. Peut-être était-ce parce que lui aussi en était un, qui sait ?
Mon excitation augmenta lorsque je réalisais qu'autour de moi ne se trouvaient que des Insoumis. Que des personnes auquel je vouais une véritable admiration. Ce que je faisais là ? Je n'en avais aucune idée. Mais il y avait une chose dont j'étais certaine, aussi étrange soit-elle : c'était ici qu'était ma place.
Une femme vint alors vers nous. Dès qu'elle traversa la salle, tout le monde cessa ses activités pour la saluer, y compris Antoine. Mal à l'aise, je tirai une révérence maladroite. Qui était cette femme ? J'osai lever les yeux vers elle. Elle était entre deux âges. Ses cheveux poivre et sel étaient coupés au carré. Ses yeux turquoise avaient quelque chose de rassurant. Elle était vêtue très simplement, et, malgré ça, elle parvenait à dégager une aura impressionnante, mélangée à une douceur infinie.
Quand elle me vit, un doux sourire étira son visage ridé.
« Bienvenue parmi nous, Cille », dit-elle.
Elle connaissait mon prénom ? Tous les regards se dirigèrent vers moi. Nerveuse, je passai une main dans mes cheveux.
- Euh... Merci, répondis-je.
Un rire franc s'empara de cette femme.
- Tu dois avoir une montagne de questions à me poser ! Viens avec moi dans mon bureau, nous serons plus à l'intimité.
J'hochai la tête et lui emboîtai le pas. Nous traversâmes la salle sur les regards ahuris des autres Insoumis. Nous aboutîmes à une petite pièce. La femme ferma doucement la porte, arrangea ses cheveux d'un geste rapide de la main et m'invita à m'asseoir en face d'elle.
- Alors, que voudrais-tu savoir, Cille ?
Je restai bouche bée : cette femme n'était qu'autre qu'un ange tombé du ciel ! Enfin quelqu'un qui me considérait à ma juste valeur et qui acceptait de répondre à mes questions ! Je souris, puis demandai :
- Qui êtes-vous ?
- Je m'appelle Mary Akwins. J'ai pour fonction chef des Insoumis, mais je suis avant tout une journaliste ! Comme toi et comme tout ceux qui se trouvent dans cette base, je suis recherchée par les Autorités.J'en eus le souffle coupé. J'étais face à la personne que j'admirais le plus au monde ! Voir cette femme, sentir son parfum, entendre sa voix était pour moi quelque chose d'exceptionnel. Je restais pendant un moment abasourdie, puis je repris :
- Et... Pouvez-vous me dire ce que je fais ici ?
- C'est une longue histoire.
- Je désire savoir.
- Bien, soupira Mary. Est-ce-que le nom d'Evan Burton te dit quelque chose ?
Je fis signe que non.
- C'était ton père, reprit Akwins.Alors là, je faillis tomber de ma chaise. Mon père. À vrai dire, je m'étais seulement intéressée à lui lorsque j'étais petite, mais ma mère ne voulait répondre à mes questions que par monosyllabes. Cela avait suffit à me dissuader d'en savoir plus à l'égard de mon père. Comment Mary le connaissait-elle ? D'un signe de tête, je lui fis signe de continuer. Mon cœur battait la chamade.
- Lorsque ta mère, Lovane Sirkis, et Evan Burton se sont rencontrés, ce dernier s'apprêtait à devenir un Insoumis. Uniquement par amour pour lui, Lovane avait tenu elle aussi à devenir Insoumise.
J'en eus le souffle coupé. À un moment de sa vie, ma mère avait été une Insoumise. Ma mère, si accrochée aux principes de la Société à présent ! Et elle ne m'avait rien dit, se contentant de m'endoctriner elle aussi ! Une colère sourde m'envahit. Qu'est-ce qui l'avait poussé à faire cela ? Elle m'avait rendu malheureuse pendant toutes ces années !
- Puis ta mère est tombée enceinte de toi, poursuivit la journaliste. C'est seulement à ce moment qu'elle s'est rendue compte des conséquences de son choix d'être devenue Insoumise. Comprends-la, Cille : elle a paniqué et a cherché à tout prix à te protéger des Autorités. Elle a tout abandonné et s'est enfuie avec toi, elle est même allée jusqu'à se forger une nouvelle identité dans l'unique but que les Autorités ne découvrent jamais que tu étais un bébé Insoumis, ce qui aurait impliqué un risque mortel pour toi ! C'est ainsi qu'est apparu la nouvelle Lovane Dwight, complètement soumise cette fois-ci.
Les larmes inondèrent mon visage. À la fois j'en voulais profondément à ma mère de ne m'avoir rien dit et à la fois je comprenais cette décision. Était-ce un crime de vouloir protéger son enfant d'une décision que l'on a pris sur un coup de tête ?
- Les années sont passées. Ton père vous cherchait partout, toi et Lovane, sans jamais parvenir à trouver ne serait-ce qu'un indice permettant de retrouver votre piste. Entre temps, il était devenu indéniablement le meilleur Insoumis de tous les temps : efficace, expert au combat, discret, courageux et intelligent. Mais il était tellement désespéré qu'au bout d'un moment, il s'est mis à enchaîner les conquêtes pour tenter d'oublier Lovane.
J'eus un hoquet de stupeur. Mon père avait couché avec d'autres femmes que ma mère ?
Toutes ces révélations me faisaient tourner la tête, mais je restais concentrée sur les paroles d'Akwins :« Puis les Autorités nous ont trouvés. Comment ? Nul ne l'a jamais su. Ils ont tué nombreux d'entre nous dont —et je suis vraiment désolée de te l'apprendre— ton père. Les survivants n'ont pas eu d'autre choix que de quitter la base pour aller s' en construire une nouvelle, bien plus moderne et plus discrète : celle dans laquelle nous nous trouvons tous en ce moment.
« Cependant, avant de mourir, ton père nous a imploré de te retrouvrer. Nous avons repéré ta trace quand des Insoumis ont attaqué un train partant au foyer, lors d'une mission sans importance. L'un des Insoumis a cru te reconnaître, et m'a aussitôt informé.
« J'ai donc envoyé Margaux, Tina et Mo, les meilleurs Insoumis de cette génération, en double-mission : ils devaient prendre des informations sur Emy Aurée, la directrice du foyer et te ramener à nous.
« Le fait que tu es été renvoyée, puis arrêtée par les Autorités a beaucoup compliqué les choses. Mais Antoine a réussi à t'amener jusqu'à nous, c'est le principal. Voilà donc ta présence ici expli... »Akwins n'eut pas le temps de finir. Aussitôt, je renversai ma chaise et, sans vraiment réfléchir, je m'enfuis en courant de toutes mes forces.
La chef des Insoumis ne chercha pas à me retenir.J'errai longtemps dans les couloirs, en essuyant mes larmes d'un geste rageur, essayant de lutter contre les milliers de pensées qui arrivaient sans prévenir dans mon esprit confus.
Alors que je m'apprêtai à m'assoir pour reprendre mon souffle, je tombai sur Antoine. Dès qu'il me vit, il se précipita vers moi et s'empressa de me demander :
- Tu as besoin de quelque chose ?
- Oui, je... J'ai besoin...Un sanglot étouffa le reste de mes paroles. Je secouai la tête. J'étais abasourdie par ces révélations. Tout tournait autour de moi, et je n'arrivais pas à prendre le temps de me poser, de faire le point.
- J'ai besoin... repris-je.
Antoine me regardait, étonné. Ses yeux bleu nuit m'incitaient à continuer, mais je n'y arrivais pas. Mon cœur battait à toutes vitesses, j'étais complètement déboussolée et perdue. Une panique sourde se propagea dans mon corps.- J'ai besoin... murmurai-je, sans parvenir à finir ma phrase.
N'importe quelle personne m'aurait prise pour une idiote à ce moment là, et pourtant, le regard d'Antoine ne semblait pas me juger. Il voulait juste que je finisse ma phrase, ce qui me mettait vraiment la pression.
- J'ai besoin d'être seule, conclus-je.
Et je m'enfuis en courant.
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Les Insoumis
Science FictionCille a toujours été ce qu'on exigeait d'elle. C'est à dire une Utile (une personne entièrement soumise à la société). Mais à côté de cela, il y a les Inutiles. Les Inutiles qu'on méprise, qu'on discrimine et qu'on emprisonne. Et puis il y a le be...