Sophie n'avait que 15 ans lorsqu'elle abandonna son passé. C'était une belle journée d'horreur, les esprits des lendemains la soulevaient sous les nuages de pluie. Des gouttes d'eau embaumaient son visage pâle. Ses cheveux ondulés s'aplatissaient lourdement sur ses épaules, ses vêtements sentaient le chien mouillé. Ce parfum lui rappelait Fanny, ce berger allemand qui l'accompagnait dans les bois quand elle était enfant. Elle avait froid, ses os tremblaient sous sa peau.
La petite avait perdu au jeu des cartes, elle avait tout fichu en l'air. Sa famille n'en voulait plus sous son toit. Les plats chauds du dimanche allait lui manquer, les gâteaux de crème aussi. Une fois de plus, Juliette avait piqué une crise d'hystérie. Elle qui aimait tant changer de nom n'avait su contenir sa folie, une fois de trop. Maman l'avait pourtant prévenue, elle devait se calmer.
Tandis qu'elle courait les rues à l'aveuglette, des ombres blanches lui sifflaient aux oreilles « Par-là, prend cette avenue, elle est jolie. Ensuite à gauche, tiens regarde cet homme, il est laid, ne sois pas comme lui. » Oh oui, Sophie écoutait ses amies, jamais elles ne lui faisaient faux bond. Sans cesse elles la conseillaient. Les ombres l'avaient laissée braver les contraintes familiales pour pouvoir s'en échapper. Elles donnaient à Sophie un avenir auquel elle était destinée.
La pluie affluait, Sophie pleurait. Autour d'elle, les feuilles des arbres s'assombrissaient. Le vent et le froid emportaient avec eux les sourires des passants. La ville déprimait de jour en jour.
Sophie s'engouffra dans un café accueillant, un feu de cheminée éclairait les clients. Ils avaient l'air bien ici, certains s'étaient endormis, engourdis sous l'effet du cognac. On la salua avec un geste de la main. Elle sourit au serveur qui lui offrit un chocolat chaud. Il semblait avoir vingt ans à peine. Il voulut connaître son prénom, « Caroline » répondit-elle. Il lui demanda alors pourquoi ce minois risquait sa vie en venant dans cette triste capitale qu'était Paris. Elle ne dit pas grand-chose. Elle avait dû partir de son village natal parce que ses parents étaient morts et qu'on voulait la marier au vieux bossu du quartier.
Le garçon compris la situation, après tout n'était-il pas arrivé une affaire similaire à sa sœur ?
De suite, il se prit d'amitié pour l'enfant, il fallait la protéger des ivrognes et des chenapans. Et puis, c'était la guerre, l'insécurité planait sur les couvents comme sur les appartements de la bourgeoisie. Les Allemands s'en prenaient au monde entier, ils bombardaient les amants comme les palefreniers. Caroline serait tout aussi bien avec lui. Après avoir encaissé les derniers clients, ils montèrent au grenier. Arthur aménagea un coin de chambre à l'inconnue. Le lieu était lugubre mais au moins il était propre. Caroline savait-elle lire ? « Oui, mais en fait je m'appelle Sophie, appelez-moi Sophie. Sinon vous allez vous perdre. »
« Sophie ? Pourquoi m'avoir menti ? »
« J'aime changer de prénom de temps en temps, on me prend pour une folle. Mais vous avez le droit de m'appeler Sophie, les ombres me l'ont dit. Elles vous font confiance et vous apprécient. »
« Bien, j'ignore qui sont ses ombres, mais je m'assurerais de ton bien être. » et, de tout son long, il attrapa un roman au-dessus d'une étagère « C'est un livre passionnant, des aventures de pirates et de crocodiles dans un pays imaginaire, j'espère qu'il te plaira. »
Arthur repartit et laissa Sophie et ses drôles d'ombres nager dans leurs pensées. Juliette s'endormit aussitôt, elle était exténuée par les longues marches de la journée.
Son sommeil la secoua de toutes parts du lit, elle trépignait en plein rêve, un animal en pleine course. Elle revoyait un par un les portraits de ceux qui l'avaient vue grandir. Ils aboyaient, l'injuriant et lui crachant dessus. Seule Fanny lui prodiguait des caresses, la bestiole n'y comprenait rien évidemment. Sa maîtresse n'était pas folle puisqu'elle était gentille. A la vue du trouble de leur amie chérie, les ombres s'empressèrent de toquer à la porte du Soleil. Sophie s'éveilla en sursaut, puis elle se souvint que tous ces cauchemars appartenaient au passé.
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Les Ombres
Short StoryBonjour à toutes et à tous, Je vous propose un court récit tournant autour du thème des personnalités multiples. Je vous souhaite une bonne lecture ! Jeanne