Chapitre 5

81 10 12
                                    

Aujourd'hui, quand la sonnerie retentit, je me précipite à l'extérieur du lycée sans attendre mon reste. Je ne suis pas sûre que le professeur d'histoire avait réellement fini de parler au moment où la porte de la salle de classe s'est refermée sur moi, mais je m'en moque. 

Cette journée m'a semblé interminable. Déjà parce que Luc et moi n'avons pas eu un seul cours en commun, mais aussi parce que je n'ai pas croisé Shawn. J'ai eu beau tendre l'oreille et laisser traîner mes yeux dans tous les recoins de l'établissement, aucune trace du beau brun à la mâchoire sculptée. 

Depuis la rentrée, les moments passés en compagnie de Luc ne sont plus mes seules sources de réconfort. Shawn en est devenue une à part entière. En dehors des cours de biologie, où le temps qui m'est impartit n'est réservé qu'à l'apprentissage - de mon sujet préféré, LUI - , je ne vis que dans l'attente de ces rencontres fugaces au détour d'un couloir. De ses sourires discrets qui me sont adressés. Des signes de main. Et de tous ces instants passés à l'observer sans même qu'il ne s'en rende compte. Dorénavant, Shawn fait tout autant partie de mon quotidien que Luc, d'une manière différente peut-être, mais qui m'apparaît, elle aussi, essentielle à mon équilibre. Donc autant dire que ce soir, alors que je remonte l'allée qui mène au parking, sans avoir vu ni l'un, ni l'autre, j'ai les nerfs à vif et ma patience a atteint ses limites. 

Pourtant, je prends sur moi. 

Je ronge mon frein pour ne pas hurler sur ces idiots qui me bousculent en voulant regagner leur véhicule à toute vitesse. Comme si sortir du parking le premier était une question de vie ou de mort. Mais, quand Luc se décide enfin à répondre à mes textos, je ne peux réprimer un grognement de frustration. Son professeur de math lui a suggéré de rester après la classe, selon lui, les cours de perfectionnement constitueraient un "plus" dans son cursus et lui garantiraient, en plus de ses résultats déjà exemplaires, une entrée toute assurée dans les plus grandes facs de la région. 

C'est bien ma veine, tiens. 

Appuyée contre l'Impala de mon ami, je réfléchis. Un coup d'oeil en direction du bus et de ceux qui se pressent pour y entrer me confirme ce que je savais déjà. Je n'ai aucune envie de prendre les transports en commun. Et comme Luc ne sera retenu qu'une heure, et que j'ai un grand besoin de réconfort, je me décide à l'attendre. Au comptoir du Reggie's, comme toujours. Avec un muffin au chocolat, accompagné d'un milkshake du même parfum, pour me consoler de la journée déprimante que je viens de passer. 

Oui, pour me remonter le moral, il va bien falloir compter dans les huit cents calories, au moins. 

Arrivée au diner, je me dis que les quelques minutes de marche valent bien un supplément chantilly. Et ce n'est pas le tintement familier de la clochette de l'entrée qui me dissuadera d'ajouter à ma boisson LE fameux coulis chocolat/noisette de Reggie. Au contraire. Depuis que j'ai pris l'habitude de venir ici, ce seul son suffit à m'ouvrir l'appétit. Avant de franchir le seuil pour la première fois, Luc m'avait pourtant prévenue. Je le revois s'arrêter sur le pas de la porte, l'air tout à coup très sérieux, "Autant t'avertir tout de suite. Une fois que tu auras goûté aux tartes de Madeline, tu sera accro. Cette femme est une sorcière qui envoûte ses clients avec de la mélasse et de la confiture de prunes. T'es sûre de vouloir prendre le risque ? Une fois que tu aura franchis cette porte, il n'y aura plus de retour en arrière possible". Je me souviens avoir ris de bon coeur avant de le pousser en hochant la tête, amusée par les bêtises que mon meilleur ami peut débiter, parfois. 

Pourtant il avait raison. A la première bouchée, j'étais perdue. Irrémédiablement prise dans les filets de la brune au teint hâlé, qui égaye l'établissement en chantonnant derrière ses fourneaux. 

F*ck it ListOù les histoires vivent. Découvrez maintenant