bleu gris :

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ester était un fragment en éternelle chute. dans sa chute, elle recevait les gifles du vent poussiéreux d'un monde qu'elle haïssait, celui dans lequel elle vivait, seule. ce monde-ci était bleu gris, pour un peu de raison et beaucoup de déprime.

bien sûr, cet état d'ester était psychologique. car physiquement, elle gonflait et dégonflait ses poumons en prenant appui sur terre et y restait bien accrochée par la plante de ses pieds, collante de gravité. sur terre, elle avait un âge et un domicile. mais dans le bleu gris monde, elle se foutait de toute identité et de tout état solide, elle se dénudait de tout superflu, finalement.

elle pensait beaucoup des mots à la suite sans aucun sens, elle les accordait et les liait par de nombreuses virgules pour de gigantesques phrases, elle les écrivait du mieux qu'elle pouvait mais en avait tant dans la tête que souvent, ils s'envolaient avant qu'elle n'ait le temps de les fixer au papier. ce qu'il y avait, c'est qu'elle adorait écrire, qu'elle ne savait pas trop pourquoi, qu'elle évitait de trop se poser la question car tout ce qui importait, c'était qu'elle en sorte un peu moins malheureuse, et c'était toujours le cas. elle écrivait un peu comme ça, un peu parce que. elle s'en doutait, que personne ne devait vraiment comprendre son charabia de "et" et de virgules, mais au fond, ça importait peu quand c'était l'ester du bleu gris monde qui écrivait. l'autre ester, très carboxylique et tachée de carbonara pour l'alitération, vivait très peu, de toutes manières.

ce qu'ester essayait de comprendre, c'était pourquoi est-ce qu'elle se composait de deux esters, pourquoi est-ce que l'une était plus lourde que l'autre dans son âme, et s'il était normal de ressentir un tel besoin de n'en garder qu'une. avait-elle même le droit ?

et puis, il y avait cette ester uniquement physique, cette enveloppe qui apparaissait à bien du monde sans son dedans. ester n'était pas très à l'aise avec son visage. pas qu'il avait forcément quoi que ce soit d'étrange ou d'anormal mais elle trouvait insensé que cela soit la première chose aperçue, jugée, appréciée ou non des autres, alors qu'elle même ne l'avait jamais vu sous son authentique forme, qu'elle ne le pourrait jamais. elle avait parfois l'impression que, sur son extérieur, le reste du monde était bien plus au point qu'elle même, à qui pourtant il devait appartenir. cette ignorance la perturbait et l'indignait. comment pouvait-on être soi-même quand on avait pas d'aperçu d'un tiers de ce que l'on était, ce tiers étant une chose physique et matérielle supportant le poids d'un esprit qui, dans le cas d'ester, tournait un peu trop vite et vide ? tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle dormait sur la joue droite, que trente degrés coûtaient un virage déplaisant à son dos, que l'odeur de son shampooing était généralement appréciée, que ses lèvres se cassaient, qu'un fin poil poussait un peu plus brun sur ce grain de beauté, et elle espérait que ses contours d'ongles n'étaient pas trop remarqués.

donc, ester constatait qu'être vivant apportait d'infinies problématiques. elle s'en plaignait à moitié, parce qu'au fond, elle adorait réfléchir à un n'importe quoi à la plus infime importance, mais considérait aussi que l'existence de l'humanité était très injuste, en partie par rapport à ces problématiques infernales sans réponse, qui menaient toutes à une finale question de sens ou de but de la vie, question dont la réponse avait un effet fourdroyant sur celui qui l'obtenait : l'effet d'effacer tout angoisse et valeur liés à ces fameuses problématiques.

et le second donc consistait à conclure qu'ester avait une sacrée problématique très peu originale qui, elle, consistait à demander désespérément un quelconque sens ou but à sa vie, car elle avait bien trop peur de pourrir encore plus son coeur chaque jour qui passerait avec ces nombreuses problématiques en croissance que son esprit posait cruellement en ces durs jours d'adolescence. ester avait beaucoup de mal à passer outre ces problématiques qui lui empoisonnaient... eh bien, la vie, justement.

cette fameuse vie.

ester carboxyliqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant