N'importe quoi peut sembler banal dans la vie. Le son d'une voiture qui roule, une feuille qui tombe d'un arbre, les nuages qui se déplacent lentement, soufflés par une douce brise. Non, je ne suis pas un poète. Ce que je veux dire, c'est que tout semble aller pour le mieux, mais ce n'est qu'une apparence parmi tant d'autres.
Je m'appelle Ethan Morpheus Jackson. Ne riez pas de mon deuxième prénom, je vous prie — argh, c'est pour ça que je ne le dévoile à personne. C'était l'idée de ma mère. Morphée est son dieu préféré. Elle adore la mythologie grecque. Et Ethan, bah mon père aimait bien ce prénom. Mis à part cela, on m'appelle aussi Morphée.
Morphée, c'est plutôt moche comme surnom, non?
Ça sonne bizarre. « Hé, Morphée, ça te dit d'aller au ciné? ». Heureusement pour moi, il n'y avait qu'une seule personne à m'appeler de cette manière — et heureusement, pas trop souvent non plus. Et c'était cette même personne qui a décidé de me donner ce surnom. Il s'agissait de ma meilleure amie, Sheila. On se connaissait depuis la garderie.
La raison pour laquelle elle avait choisi ce surnom est simple. Il m'arrive de faire des rêves — comme tout le monde —, sauf que les choses dont je rêve se produisent vraiment. Ou alors, mes rêves sont un indice, une vision en quelque sorte, de ce qui risque d'arriver. Vous vous dites surement qu'il s'agit d'un concours de circonstances, mais c'est arrivé trop de fois pour que je puisse croire à un hasard.
Et Morphée étant le dieu des rêves, je vous laisse faire le lien. Coïncidence? Je ne crois pas. Personnellement, je trouve que Hypnos m'aurait mieux convenu, puisque je m'endors presque partout — surtout en classe, durant les cours de français —, mais ça, c'est mon opinion personnelle.
Si je vous raconte tout ça, c'est parce que je n'en peux plus de cette culpabilité. Et par vous, je veux dire personne en général. Je ne fais que ressasser mes pensées.
J'avais l'habitude d'aller au collège avec Sheila. Elle m'attendait devant ma maison — on était voisins. Elle se plaignait souvent de mes retards.
— Morphée. Pauvre crétin, t'es encore à la bourre, m'a-t-elle assené en me voyant.
J'affichais en effet un sourire de crétin.
— Désolé, Shelly.
Elle a levé les yeux au ciel avant de me retourner mon sourire. Elle était très jolie quand elle souriait. Au fait, laissez-moi vous décrire Sheila. C'était une fille menue de petite taille — je la taquinais souvent à propos de ça — aux yeux brun chocolat et aux longs cheveux noirs et soyeux. Il y avait aussi ce côté d'elle parfois agaçant mais attachant. Sheila état parfois d'une humeur trop joyeuse. Toujours un grand sourire scotché sur le visage. Toujours en train de sautiller à mes côtés au lieu de marcher normalement. Toujours en train de rire avec ce rire cristallin bien à elle. Elle me faisait penser à ce poney rose dans My Little Pony. Pinkie Pie, je crois — pas que j'écoute My Little Pony... Du coup, ce comportement contrastait beaucoup avec ses vêtements. Sheila était toujours habillée en noir. Alors, cela étonnait beaucoup de gens quand ils apprenaient à la connaître. Mais personne ne la connaissait vraiment. Elle ne parlait pas beaucoup d'elle et lorsqu'elle le faisait, c'était pour dire des trucs du genre « J'aime ce groupe de musique » ou « J'aime cette série de livres ». La plupart du temps, elle faisait des blagues qu'elle seule trouvait drôles — en fait, je riais aussi.
— Tu as des ressorts sous les semelles ou quoi? lui ai-je lancé.
— Peut-être!
Elle m'a pris par la main — j'ai brusquement rougi — pour m'entraîner avec elle et j'ai fini par éclater de rire, imité par elle.
J'ai fait un rêve. Probablement le plus troublant de tous. J'étais dans un endroit inconnu. En fait, c'était l'obscurité totale. Une seule grosse tache de lumière à quelques mètres devant moi. Dans cette lumière, un corps agenouillé, tête baissée. J'aurais reconnu cette silhouette et ces cheveux noirs partout. J'ai couru aussi vite que j'ai pu. Ces quelques mètres semblaient s'étirer jusqu'à ce que je sois essoufflé. Une fois arrivé devant Sheila, j'ai remarqué deux choses. Un, elle portait une robe blanche vaporeuse qui la faisait ressembler à une jeune déesse. Or, Sheila ne porte jamais autre chose que du noir. Sheila a semblé remarquer ma présence, car elle a levé la tête en disant doucement:
— Ethan?
C'était en relevant sa tête, faisant bouger du même coup ses cheveux, que j'ai remarqué le deuxième détail. J'ai senti quelque chose se briser en moi. Son épaule. Des lettres gravées sur sa peau. Une simple phrase.
À l'aide.
Le sang dégoulinait de son bras. Puis, elle a perdu conscience et je me rappelle avoir hurlé son nom en me réveillant.
J'ai refusé de croire à ce présage.
Lorsque j'ai revu Sheila, j'ai fait comme si de rien n'était. Après tout, ce ne sont pas tous les rêves qui sont prémonitoires, pas vrai? Je ne voulais pas croire qu'elle allait mal. Elle incarnait la joie à mes yeux. J'ignorais que ce jour-là serait le dernier durant lequel on irait au collège ensemble. J'ignorais que ce jour-là serait le dernier durant lequel j'aurais l'occasion de la serrer dans mes bras avant qu'elle ne rentre dans sa maison.
En vrai, j'étais amoureux d'elle. J'espérais que « Shelly » finirait par se transformer en « Chérie ». C'est nul, je sais. Mais un je-ne-sais-quoi m'attirait irrésistiblement vers elle.
Plus personne ne m'appellerait « Morphée ». Ça m'a brisé le coeur quand je l'ai réalisé. Mais ce que j'ignorais, c'est que sous la surface se cachait une fille torturée. J'aurais dû voir que derrière cette joie exubérante se tapissait une multitude de tourments. Ses yeux ne pétillaient jamais réellement.
Je ne me pardonnerai jamais ma lâcheté.
De toute manière, il est trop tard. Mais alors, pourquoi est-ce que je prends la peine d'aller devant sa tombe à chaque jour pour la garnir de fleurs, comme en ce moment même?
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Sous la surface
Short StoryPour l'instant que d'une histoire, mais peut-être en ferais-je un recueil de nouvelles... Je tiens à dire qu'elle est triste alors pour ceux que ça risque de choquer, je vous avertis. - Milady Raven