Histoires comme ça

Le suicide

  Kamiel baissa son regard bleu et dur vers le plancher lorsque le colonel apposa son sceau au bas du document. Il serra les poings et, après un salut digne et réglementaire, il tourna les talons avant de disparaître. Le colonel eut un rictus et oublia l'officier.

Kamiel marchait à travers les rues, grises en ce début de soirée, et la pluie qui battait ses épaules rendait un bruit de matraque. Un instant, il s'observa dans une vitrine éclairée. Port de tête fier et décidé, visage tout en longueur, un peu sec peut être... Ses supérieurs avaient toujours apprécié sa rigueur et son professionnalisme, c'est pourquoi il avait rapidement grimpé les échelons.
Mais maintenant... Ce témoignage infamante pesait dans son sac comme la pierre que roulait Sisyphe.

Kamiel, qui n'avait jamais été mélancolique, ses pensées d'habitude tournées vers l'efficacité et le présent, pensa à sa famille. Des parents étrangers, pas très riches, pas pauvres non plus, mais aimants, et fiers de ce fils qui ne rencontrait que le succès. Une épouse discrète attentionnée, certes, mais aussi capable de le réprouver sèchement et de le remettre à sa place lorsqu'il le fallait, sa conseillère la plus sûre et la plus fiable en temps de doute professionnel, lorsqu'il ne savait quelle décision prendre. Que n'avait-elle été là, la semaine précédente... Ses enfants aussi, le soleil de sa vie, deux petits pleins de vie, d'enthousiasme et de soif découverte, qui savaient apporter la joie dans tous les moments.
Que penseraient ils de lui, à présent que ce papier infamant lui brûlait les doigts ?

La flamme vacilla et s'éteignit. Kamiel rangea son briquet dans son bureau de bois clair et souffla les cendres de l'infamante preuve. Il ouvrit un autre tiroir.
Il repensa à ses collègues, tout aussi rigoureux et militaires que lui, à ses subordonnés surtout, ses subordonnés à qui il avait failli.
Ses subordonnés dont certains étaient morts, morts par sa faute, morts à cause de son erreur inadmissible.

Kamiel se prit la tête entre les mains et contempla la tache infamante qui souillait son honneur.
Un enfant cessa de jouer et poussa un cri de terreur. Dans le cabinet de travail, un coup de feu avait retenti.