Un silence de mort

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  L'obscurité baignant la cellule dans laquelle se trouvait Wichian était oppressante, à un point inimaginable. Pas un rai de lumière ne filtrait à travers les épais barreaux, ne scindait par dessous la porte lourdement fermée et aucune torche ne brûlait, le condamnant pour les ténèbres à jamais.

  Seule une minuscule bougie émettait une lueur mordorée, qui ne permettait certes pas de voir à plus de trois pas, mais lui donnait quand même la sensation agréable qu'il n'allait pas finir aveugle. Un sentiment bien futile, après avoir passé plus de dix ans à observer cette même bougie, qui était l'une des seules raisons pour laquelle il n'avait pas succombé à la folie. La solitude perpétuelle en perdait plus d'un, à ce qu'on disait. Les prisonniers, coupés du monde extérieur, attendant leur jugement, se donnaient parfois la mort, après cinq, six ans de réclusion, incapables d'en supporter plus.

   Mais lui, Wichian, était toujours là. Pour un crime odieux. Le plus odieux de tous. Mais son statut délicat d'héritier de la couronne avait tout compliqué, et personne ne savait quoi faire de lui.  Personne. De ce qu'il en savait, il pouvait même rester là jusqu'à la fin de ses jours, rien ne pouvait l'amnistier. Mais une petite voix intérieure lui répétait d'attendre, de patienter, et lui chuchotait que son heure viendrait. Et voilà une des autres raisons qui lui avaient permis de tenir : la préparation de son retour.

   Il ignorait dans quelles circonstances se ferait cette étape, mais il y pensait tous les jours, et plus il y pensait, plus il parvenait à la conclusion que ce pouvoir qui autrefois lui revenait de droit, devait à présent se mériter. Ou à défaut de se mériter, se gagner. Par la force.

  Un couinement se fit entendre. Il se retourna. La portée de la lumière ne lui permettait ps de voir grand chose, mais il sourit, en reconnaissant Onyx. Un petit rat, qui se terrait là depuis deux ans et demi. Il l'avait baptisé ainsi à cause de sa couleur d'ébène, qui le rendait presque invisible dans la pénombre existentielle. Quand la compagnie humaine n'était plus accessible, on se contentait de ce qu'on avait.

-Toi, tu as faim, c'est ça ?

  Le rongeur ne bougea pas mais réarticula un couinement encore plus aigu. Wichian leva les yeux au plafond puis balança au petit animal un morceau de fromage qu'il gardait depuis son petit-déjeuner, en prévision de la prochaine quémande de nourriture.  Onyx se jeta dessus et l'engloutit en moins d'une seconde, sous le regard amusé de son compagnon.

   Puis Wichian s'assit en tailleur et commença la troisième activité qui lui permettait de garder la tête froide depuis tout ce temps : parler. Parler de ses plans de reconquête. À un rat.

  Entendre sa propre voix lui faisait généralement du bien, car le silence qui occupait la pièce devenait parfois angoissant, comme si le fait de ne plus rien entendre allait lui faire perdre la faculté de s'exprimer. Ou tout simplement de vivre. C'était très déstabilisant. Hormis ses plateaux-repas qu'on lui glissait par la trappe de la porte, Wichian n'entendait absolument rien de ce qui se passait à l'extérieur.  Pas un mot.

  Mais il se tenait prêt pour le jour où il entendrait des voix, où la porte s'ouvrirait, où on le conduirait à son destin, hors de cette cellule qui a été sa prison pendant bien trop longtemps. Et ce jour-là, il reprendrait ce qui lui appartenait de droit : son royaume.


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