Je n'ai aucune envie de me lever. Ni le courage pour déjeuner comme si de rien n'était, comme si aujourd'hui tout allait bien. Aller au lycée subir la pitié dans le regard des autres ; et rentrer chez moi pour accueillir avec une immense joie - notez l'ironie - ma psychologue, qui vient deux fois par semaine à la maison.
Non, non, aucune envie.
Je grogne et jettes un coup d'oeil discret à la fenêtre. Et en plus, il pleut. Des cordes. Il pleut des cordes, bordel.
Je me lève avec lassitude et m'habille d'un jean noir accompagné d'un débardeur blanc, qui reste en dessous de mon sweat noir. Remarquez la complexité de mon look. On adore. Dior.Bref.
Je prends sur une épaule mon sac de cours, et déverrouille mon portable, tout en descendant les escaliers pour aller petit-dejeuner. Arrivée dans la cuisine, je constate que mes parents y sont déjà, attablés, dans un lourd silence. Je comptais manger, mais en les voyant, j'ai plutôt envie de me casser en courant.
"- Bonjour.", chuchote ma mère avec une petite voix.
"- Salut..", dis-je en m'asseyant à une chaise tout près.
Je contemple quelques secondes la table, ne sachant pas quoi faire ni dire, et me relève. Je ne supporterai pas de voir les mines mélancoliques de mes géniteurs plus longtemps. Je dois partir.
"- Je vais aller au lycée plus tôt aujourd'hui.", je les informe. "- On se voit ce soir."
À la place de répondre, mon père se lève à son tour et marche jusqu'à moi. Il s'arrête à quelques centimètres et me regarde droit dans les yeux avant de me serrer dans ses bras. Je lui réponds son étreinte et lui tapote dans le dos. D'un point de vue extérieur, c'est chelou. Heureusement qu'on est d'un point de vue intérieur.
Je me détaches de mon père et me dirige vers la porte. Ouais. Au lieu de soutenir mes propres parents dans cette difficile épreuve, je fuis. Je ne suis pas capable. C'est tout. Je ne suis pas capable d'assumer cette responsabilité car je suis dans les mêmes conditions qu'eux. Moi aussi, j'ai mal, et moi aussi, je souffres.
J'ouvres la porte, et pars. Je remarque que j'ai oublié mon manteau en voyant toute la pluie déferler ; tandis que je suis sur mon palier. Tant pis. Je ne vais tout de même pas rentrer, donnant une fausse joie à mes parents qui croiront que j'ai, bien réfléchi, changé d'avis et décidée de rester avec eux. Je souffles un bon coup et me lance sous le déluge. Je marches rapidement, souhaitant arriver le plus vite possible pour me réfugier dans le préau du lycée, mais trébuche sur une marche de trottoir que je n'avais pas vu.
Inutile de préciser que je tombes tête la première dans une flaque qui doit sûrement ressembler à un océan pour les fourmis.
"- Putain !", je jures, butant sur chaque mot, totalement avachie dans l'eau sale de la rue.
Je me relève avec difficulté et me regarde : je suis trempée de la tête aux pieds. Mon sac aussi a morflé, et je constate en l'ouvrant que mes cahiers et mes copies sont foutues. Je le jette d'un coup par terre, en passant les mains sur mon visage, puis sur ma nuque pour me masser les tempes. Soudain, prise de colère, je shoote dans l'objet, puis saute dessus pour le piétiner. Non mais quelle psychopathe, doivent de dire les rares passants qui partent au boulot.
Moi, je me dis juste que je dois ressembler à un lama qui essaie de chasser le moustique poser sur son cul.Drôle de comparaison.
Je balance une bonne fois pour toute mon sac sur le côté, avec un coup de pied digne d'un footballeur, et pars rapidement avant qu'une âme pure ne vienne en courant, me rapportant l'objet avec un grand sourire.