Merlin - Livre 1 - Les Années Oubliées

Prologue

Si je ferme les yeux et respire au rythme de la mer, le souvenir de ce jour lointain me revient. Un jour rude, froid, sinistre, désespérant.

Depuis, j'en ai vu beaucoup d'autres, plus que je b'ai la force d'en compter. Et pourtant ce jour brille dans ma mémoire avec autant d'éclats que le Galator lui-même, comme celui où j'ai trouvé mon vrai nom, ou celui où j'ai bercé pour la première fois dans mes bras un bébé du nom d'Arthur. Si je m'en souviens si clairement, c'est peut-être parce que la douleur est toujours là, telle une cicatrice sur mon âme. Ou parce qu'il a marqué la fin de tant de choses... et, en même temps, le commencement de ces années oubliées.

Une vague sombre se dressa sur la mer, et de cette vague jaillit unetite main.

La vague monta vers le ciel, gris comme elle, et la main se tendit, elle aussi, vers le ciel. Un bracelet d'écume tourbillonnait autour du poignet, tandis que les doigts cherchaient en vain à s'agripper à quelque chose. C'était la main d'un être qui n'avait plus la source de lutter. La main d'un jeune garçon.

La vague qui avançait avec un bruit d'aspiration resta un instant suspendue entre l'océan et la terre, entre l'Atlantique et la dangereuse côte du pays de Galles, puis elle retomba dans un grondement furieux, précipitant le corps épuisé du garçon sur les rochers.

Sa tête heurta une pierre si violemment que son crâne serait sûrement fendu sans l'épaisse tignasse qui le recouvrait. Étendu sur le sol, l'enfant ne bougeait pas. Seuls ses cheveux noirs tâches de sang furent dérangés par le souffle de la vague suivante.

Une mouette s'approche de la forme inerte. Avec son bec,..elle attrape une algue qui s'était enroulée autour de l'oreille du naufragé et se mit à tirer dessus dans tous les sens.en poussant des cris rauques.

L'algue finit par se détacher. Satisfait, l'oiseau sautilla vers le bras nu. Sous les lambeaux de oa tunique brune qui lui collait au corps. le garçon paraissait petit, même pour un enfant de sept ans. Mais quelque chose dans son visage — la forme de son front ou les plis autour des yeux — lui donnait un air beaucoup plus âgé.

À ce moment-là, il toussa, vomit de l'eau et toussa de nouveau. Apeurée,la mouette lâcha sin algue en criant et alla se percher sur un rocher. Le garçon resta un instant immobile. Il avait un goût de sable, de vase et de bile dans la bouche. et des élancements dans la tête. Il sentait las aspérités du rocher contre ses épaules. Il toussa encore, recracha de l'eau et respira avec difficulté une fois, deux fois, trois fois. Lentement, sa main fine se referma.

Les vagues déferlaient, se retiraient, déferlaient, se retiraient. Pendant ce temps, la petite flammes vie en lui menaçait de s'éteindre. Son esprit était étrangement vide. Il avait l'impression d'avoir perdu un morceau de lui-même. Ou qu'une sorte de mur s'était formé, le séparant d'une partie de son être, et ne laissant rien d'autre qu'un sentiment de peur.

Sa respiration ralentit. Son poing se relâcha. Il ouvrit la bouche comme pour tousser er perdit à nouveau connaissance.

Prudemment, la mouette se rapprocha.

Puis, venu d'on ne sait où, un frisson d'énergie parcourut le corps du garçon. Quelque chose en lui n'était pas encore prêt à mourir. Il bougea et respira encore.

La mouette s'immobilisa.

Il ouvrit les yeux. Tremblant de froid il roula sur le côté. Il voulut cracher le sable qu'il avait dans la bouche, mais le goût d'algues et de sel lui donna envie de vomir.

Non sans mal, il leva le bras et s'essuya les lèvres avec les lambeaux de sa tunique. La blessure à vif qu'il sentait derrière la tête le fit grimacer. Il réussit quand même à se redresser en prenant appui sur un rocher, et il resta là, assis, à écouter la mer. Il lui sembla alors entendre un autre bruit que celui des vagues... une voix, peut-être. Une voix d'un autre temps, d'un autre endroits, mais lesquels ?