F*ck it List

Chapitre 6

La fourchette pendue au bout des doigts, le regard dans le vague, j'entend une voix qui m'appelle, sans que je parvienne à en identifier la source. Ni même que j'en ai l'envie. 

- La Terre appelle Jamie ! répète Luc en agitant les bras devant moi.

Sortie de ma transe, je me détourne du point flou sur lequel je fixais mon attention pour me concentrer sur mon meilleur ami qui glisse son plateau sur la table avant de prendre place face à moi.

- Donc. Je te disais, avant que tu ne quittes la file du self comme une malpolie.

Il marque un temps d'arrêt pour me laisser le temps de regretter mon geste, puis reprend son monologue, entre deux bouchées de pizza.

- Je disais que les profs doivent tenir des réunions secrètes. Et je crois que ton Monsieur Preston est en train de les rallier à sa cause. A cause de lui, mon prof d'informatique, Monsieur Lebstein, nous a tenu le même discours. Sortir de sa zone de confort. Blablabla. Nouveau partenaire de travail. Blabla. Pas de plainte. Il soupire, prend une gorgée d'eau. Et tu ne devinera jamais avec qui il m'a mis en équipe ! Figure toi que je vais devoir faire un site internet avec le r..

Mon meilleur ami s'interrompt, la part de quatre fromages au bord des lèvres, il fronce les sourcils et laisse retomber son repas.

- Jamie Gloria Rivers ! Qu'y a-t-il de si intéressant de ce côté de la pièce, pour que tu ne me prête aucune attention ? Moi qui suis pourtant si charmant et éloquent. Et drôle. Et spirituel. Et sexy. Arrête-moi quand tu en auras marre de mon énumération, hein.

Comme je ne lui répond toujours pas, bien qu'ayant parfaitement entendu son babillage, il prend appui sur ses mains, se relève et tourne la tête dans la même direction que la mienne.

- Aaah ! Je comprends mieux ! Moi qui pensais avoir soudain perdu tout intérêt à tes yeux... Alors qu'en fait, tu t'es simplement laissée distraire par la flamme incandescente d'un jeune éphèbe. Comme un petit papillon attiré par les muscles saillants d'un beau brun fraîchement débarqué.

Sans détourner le regard du point imaginaire que je fixe, dans le seul but d'avoir Shawn dans mon champ de vision périphérique, je jette un morceau de mie de pain entortillée à la tête de mon ami qui essaye de l'attraper au vol, la bouche ouverte. Sans y parvenir.

- Toujours accro à Monsieur le Rigolo ?

A son évocation, je m'autorise un moment de faiblesse et me tourne vers lui, pour le regarder vraiment. Assit à la table des athlètes, comme tous les jours depuis la rentrée, il porte distraitement des frites à sa bouche entrouverte, captivé par le capitaine des Vikings et l'histoire qu'il lui raconte, gestes et grondements à l'appui. Quand Cooper termine son récit, son auditoire s'esclaffe, mais moi, je n'ai d'yeux que pour Shawn. Ses cheveux négligemment rejetés en arrière. Son regard pétillant. Tout m'obsède chez lui. Même son rire, profond, communicatif. Sincère. Comme lui. 

Enfin, c'est l'impression qu'il me donne en tout cas.

Si bien que ce qui ne devait être qu'une courte distraction s'est transformée en observation béate. Et ce qui devait arriver, arriva. La façon que j'ai eu de le regarder n'a pas échappé à sa voisine de droite. Madison. Elle lui donne un coup de coude, se penche et lui glisse quelques mots à l'oreille. La réaction du principal intéressé est immédiate, bien qu'elle m'apparaisse se dérouler au ralenti. En entendant la cheerleader, Shawn arrête de rire et lève les yeux dans ma direction. J'aurais probablement dû me détourner, ne pas me montrer si transparente, mais je n'ai pas pu m'y résoudre. Il n'y a qu' à distance que j'ose enfin plonger mon regard dans le sien. Et ce que j'y lis, là, maintenant, fait gonfler ma poitrine d'un espoir que je sais fou. Légèrement voilés, ses iris semblent répondre au demi-sourire en coin qu'il m'adresse, et qui, à en juger par la moue qui apparaît sur son joli minois, n'est pas la réaction à laquelle s'attendait Madison. Je la vois se renfrogner et tourner la tête vers son petit ami, visiblement déçue, tandis que Shawn, lui, ne me quitte pas des yeux.