« J'aurais dû. J'aurais dû oser faire le premier pas, m'avancer vers toi au lieu de simplement t'admirer. Mon manque de courage me coûte cher aujourd'hui, je m'en rends bien compte, crois-moi.
Tu étais si belle, virevoltant sous la pluie, désespérément accrochée à ton parapluie. Les bourrasques parfois violentes du vent d'automne te faisaient rire. Ta longue chevelure sombre suivait tes mouvements doucement, lourde de gouttelettes. Tu semblais si joyeuse. Tes pieds frappaient dans les petites mares d'eau près de la chaussée au rythme d'une chanson que toi seule entendais.
Moi, je restais là à te regarder, médusé, avide de ta joie de vivre. Je ne comprenais pas comment on pouvait être aussi heureux, seulement en restant sous la pluie. J'aurais bien aimé que tu me l'apprennes. Je n'avais d'yeux que pour toi, toi et ton immense parapluie noir.
Et toi, tu ne t'arrêtais jamais. Tes mouvements, tellement fluides, faisaient penser à une chorégraphie déjà préparée. Mais je sais que ça venait directement de ton cœur.
Coeur qui semblait si pur à cet instant. À-travers ton regard, tout paraissait plus beau et féérique.
Je t'enviais. Beaucoup. Tu avais cette présence, cette aura autour de toi qui racontait l'incroyable histoire d'une jeune femme courageuse et positive. Comparée à la tienne, mon aura serait terne et morne.
Malgré la distance entre toi et moi, tu dégageais assez de joie pour trois personnes. Je n'avais qu'un désir : descendre de ma branche et te rejoindre. Tu me subjuguais à un tel point que ça en faisait mal. Cependant, mes jambes sont restées bloquées, me retenant prisonnier du feuillage humide.
Mon assurance m'a quittée, aussi rapidement que l'eau qui dévalait la rue trempée. Pendant un instant, tu m'as fait peur. J'ai cru que cette joie était inhumaine, que ce n'était pas réel. Que tu n'étais qu'un mirage, venu adoucir ma vie le temps d'une seconde.
Puis tu as souris. Pas à moi directement, mais je me suis senti concerné. Cette fois, c'était différent. Ce sourire ne reflétait pas de joie, mais émanait de paix et de fierté. Une sorte de chaleur a soudain envahi mon ventre, me réchauffant immédiatement. Mon cœur a raté un battement, mes poumons ont oublié leur rôle, et je me suis retrouvé sans le moindre souffle.
Ce sourire restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Une drôle d'impression m'a alors chavirée. Tes yeux avaient perdu de leur éclat si magique, les coins de ta bouche s'étaient affaissés. Tu semblais subitement si triste, si perdue.
Une vague de chagrin m'a alors attaquée. Je te connaissais à peine, mais je souffrais. Avec toi.
Lentement, comme dans un rêve éveillé, tu t'es éloignée. Doucement, sans te dépêcher. Tu ne dansais plus, ta bouche n'était plus qu'un trait droit, sans ses jolies courbes joyeuses. Le magnifique monde que j'ai eu la chance d'admirer à-travers ton regard venait de s'éteindre à jamais.
Je t'ai observée disparaître au loin, te fondant dans la brume. La dernière chose que j'ai perçue, c'est le noir profond de ton parapluie.
Je suis resté assis là, perché bien haut dans mon arbre, le regard oscillant dans la brume où tu étais sombrée, cherchant en vain une pointe de noir.
Je ne t'ai jamais revue.
Tu sais, malgré le fait que tu n'as aucune idée de qui je suis, malgré le fait que tu ne m'as jamais vu, ni même regardé dans les yeux, je t'apprécie. Beaucoup.
Bon voyage. J'espère sincèrement que tu pourras être joyeuse là où tu es. Autant que cette journée-là. Jamais je ne pourrai effacer de ma mémoire cet instant, si magique, partagé avec toi. Jamais. »
Et le jeune homme déposa maladroitement le micro. Il descendit rapidement les quelques marches, les mains moites et fébriles. Sous les regards pesants de la foule, il s'approcha et étendit doucement, au-travers des fleurs rouges, une rose noire sur la tombe.
Noire comme le parapluie.
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Jamais
General Fiction« Moi, je restais là à te regarder, médusé, avide de ta joie de vivre. Je ne comprenais pas comment on pouvait être aussi heureux, seulement en restant sous la pluie. J'aurais bien aimé que tu me l'apprenne. »