Deux.

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Le sport, moi, ça me plaisait bien et ça me plait encore. La plupart du temps, c'est ce schéma-ci qui se répète : quand tes neurones sont à la masse, ce sont tes muscles qui prennent le dessus. Et si t'as pas de muscles, et bien, tu te démerdes, je suis pas ta mère.

Tout ça pour en venir au fait que ce matin-, le matin décisif du début de la fin et du renouveau, on avait cours d'éducation physique et moi, le matin, je n'étais jamais à l'heure. Ça tombait bien, le prof d'EPS m'adorait. Je n'ai pas eu à me presser, je ne craignais aucune réprimande.

Et dire que si je n'étais pas aussi fainéant, jamais je n'aurais réalisé que ma vie toute entière était une erreur. Oui, je déteste la personne que j'étais.

Bref, ce matin-là, je m'étais installé dans les vestiaires dès lors vides, pour me changer. Enfin, "vide", pas tout à fait.

—Patrick n'est pas là. On sera peut-être tranquille, aujourd'hui.

Ce n'était pas Alexeï.

—Il arrive toujours en retard... Puis, toi, t'as rien à craindre.

, c'était Alexeï.

Les deux garçons, Alexeï et son ami, s'étaient réfugiés dans les douches pour manquer une bonne partie du cours. Ce devait être l'unique pote d'Alexeï, un autre petit gars de la classe avec laquelle on avait cours d'EPS.

—Tu devrais pas te laisser faire.

Mais de quoi il se mêle. C'est ce que je m'étais dis, sur le coup.

—Je sais. Mais je vois pas trop ce que je pourrais faire, sans que ça ne fasse empirer les choses.

Ça va, on va pas en faire un drame non plus. Qu'est-ce que j'étais con, ma parole.

—Ouais, mais bon... Faut l'arrêter avant qu'il s'en prenne à quelqu'un de plus fragile que toi. J'suis sûr y a des gamins qui c'sont pendu pour moins que ça.

Mais avec quoi il vient, putain... Là, tu sens le malaise embarquer dans c'te foutue histoire ? Parce que moi bien.

J'avais cette boule désagréable dans le ventre, qui était encore assez minime en cet instant. C'était un petit coup, j'allais m'en remettre. La suite, par contre, allait être brutale.

—J'y ai déjà pensé, tu sais... Mourir.

Et voilà la première gifle. Violente, mais la seconde, plus tard dans la journée, sera phénoménal. Ou monumentale, c'est pareil. Là, déjà, j'étais pas bien. Cette fichue boule dans le ventre était remontée jusque dans ma gorge, avec un petit goût amer de culpabilité.

Je m'étais alors enfui à toute vitesse, pour rejoindre mes camarades. Je ne voulais rien entendre de plus. Peut-être aurais-je dû rester.

—Quoi ?!

—Nan, mais, t'inquiète. Ça m'a foutu la trouille rien que d'y penser, ahah. (Un rire maladroit, tu t'en doutes.) Ça n'arrivera jamais.

—Ça ne va pas, Patrick ?

Il était dix-huit heures et quart, à peu près. La journée fut longue et épuisante. J'avais évité tout contacte avec Alexeï. Mon mentale chutait. La remise en question débutait.

Jamais, avant ce jour, je n'avais encore douté de mon intégrité sociale. Mon être tout entier avait besoin d'être rassuré, d'être remis en place sur son piédestal. Mon père était là, dans son fauteuil, un livre en main. Quand à moi, j'étais affalé dans le canapé en biais du sien, le regard perdu sur l'écran de télévision éteint.

Cet homme que je respecte et que j'aime tant, avait noté mon malaise, alors j'ai sauté sur l'occasion dans l'idée de recevoir un mot de réconfort de la part de mon paternel.

Du réconfort ? Que nenni, tu vas voir.

—Y a ce garçon à l'école... Il se fait un peu victimiser. Mais pas méchamment, hein ? Enfin, je crois. Juste, tu sais, des taquineries. Mais... Je l'ai entendu dire qu'il avait déjà pensé à... Au suicide. C'est exagéré, c'est pas comme s'il se faisait frapper.

J'avais terminé cela sur un petit rire mal à l'aise. Une sorte de «huhuhu», t'vois comment. Le padre moustachu avait alors déposé son livre sur la table de chevet à côté de lui. Il prit ensuite un air sérieux mais bienveillant.

—Tu sais, Patrick ? Quand j'étais gamin, j'étais un peu comme ce garçon. (Sur le coup, j'avais sourcillé, je n'étais pas au courant.) J'étais l'intello de la classe, la cible facile. Et ça peut arrivé, quand on est à bout, d'avoir ce genre de pensées. (Là, la boule au ventre se réinstallait, forcément.) Mais si tu t'inquiètes pour lui, Patrick, tu devrais l'aider. Dis lui que ce n'est qu'une mauvaise passe. Dis lui que ceux qui le harcèlent n'ont aucun avenir. (Bim ! Directe du droit !) Des abrutis qui finiront caissiers chez MacDo à coup sûr, si pas au chômage. (Uppercut !) Des bons à rien qui ne savent pas se satisfaire de leur vie et qui ont besoin de la misère des autres pour se valoriser. (Knockout ! Knockout !) Et bien, on dirait que ma rancune n'est pas tout à fait partie.

Et là, mon ami, le ricanement de mon paternel me parvint jusqu'aux oreilles, alors qu'il venait de me foutre en pleine gueule cette gifle phénoménale et monumentale dont je te parlais.

Mon visage était pâle comme mon cul, j'en avais la nausée. Je m'étais alors précipité dans la salle de bain pour me rafraîchir. La gorge nouée, l'imbécile que j'étais éclaboussait son visage et respirait à grande haleine. Rien à faire, ça ne passait pas et ça commençait même à me piquer aux bords des yeux.

Alexeï n'était plus, c'était mon père que j'avais brutalisé tout ce temps, que j'avais poussé à songer au suicide. Mon père, ce membre si important de ma propre famille, me haïssait sans le savoir. J'étais le monstre de son enfance. Son visage remplaçait celui d'Alexeï et ces mots échangés au matin tournaient en boucle comme un disque rayé, mais à nouveau, il y eut métamorphose de la voix.

« J'y ai déjà pensé, tu sais... Mourir. » et il était là, mon père, face à moi dans le miroir, à me répéter sans cesse cela.

C'en fut trop, je m'étais jeté sur la cuvette de toilette. Et à l'odeur putride de la honte et de l'humiliation s'ajouta celle du dégueuli.

Et j'ai pleuré, pleuré ! sous la douche. J'en ai pas dormi de la nuit.

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[NdA : Ce doit être l'un des chapitres les plus importants de cette histoire alors j'espère vraiment ne pas m'être plantée. Donnez moi votre ressenti que je sache si je suis dans le bon. À plus.]

GROWTH [B×B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant