Drôle de sourire

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C'est quoi c't air dédaigneux avec lequel tu m' regardes ? Comme si on fond d' tes yeux, j' lisais arrête ton p'tit jeu de femme solide, ça en devient sordide, on est autant blasé, blessé l'un que l'autre alors laisse-moi rentrer sous la carapace, baisse la garde.

J' vois bien ton p'tit sourire délicat et mesquin, aigri d'une centaine d'âmes et pourtant enfantin, ton drôle de p'tit rictus sournois autant qu' hautain qui teste mes mensonges, qui n'en croit pas un brin d' mes faiblesses détachées, d' mon moi faussement serein, d' mon j' m'en foutisme existentiel inexistant, méprisant, méprisable, qui voudrait faire croire à tout le monde que j'ai trouvé mon équilibre et que j' suis stable.

Mais je sais bien qu' personne n'est dupe, ni toi, ni un autre, ni ceux qui croient me connaître depuis la nuit des temps, tous ceux qui m' méconnaîtrait depuis hier ou depuis un quart d'éclat de printemps, tous ceux qui veulent mon bien, tous ceux qui m' volent mon temps, tous ceux qui m' violent un temps avant d' me laisser en chien.

Fais rien croire d'autre que c'que tu es, fais pas d' promesse en l'air comme toutes ces âmes blessées. On va pas r'faire l'histoire, faire semblant d'aller bien, on attend juste en gare d' ceux qui n' croient plus en rien. Et c'est tout ce qui m'va, tout c' qui m'va, tout c'qui m'va ; comme un gant troué, comme un fusil chargé, comme un drôle de sourire menteur qu'attend d'être dégainé.

Alors, j'enchaîne les soirées, les concerts, les cuites de vieilles, les teufs jusqu'au petit matin ; j'enchaîne les beats trop forts dans mes oreilles, mes tripes, dans mon bas-ventre, dans les tréfonds, jusque dans mon vagin ; et dans ma gorge, les bières, les dopes de merde, les mecs, les rêves brisés trop tôt, les chaînes brisées trop tard, les souvenirs aigres et terreux comme des verres de vins. Et j'accroche à mon tour ce drôle de p'tit sourire moisi-charmeur-séducteur-enjôleur délicatement coquin, et là, y a plus de question, plus qu'un aura de morpions, un truc qui tourne pas rond comme un mauvais parfum. Ça danse des entrejambes, ça m'entraîne dans leur chambre, j' sais plus à quoi ça ressemble. Comme des gargouilles triquées, l'âme vile et tripée, étriquée par leurs peurs et leurs regrets noyés, désillusion blessée, on s'est mollement trompé sur les cadavres d'une vie faite des erreurs passées. Et c'est pathétique, pathétique, pathétique, mon drôle de sourire ravageur qui fait qu'filer la trique. Ouais, c'est pathétique, pathétique, pathétique, à force de pas vouloir me dévoiler, j'me laisse percer de tout côté, ça en devient lubrique.

*

Il est 8h du mat, j'ouvre des yeux qui font mal sous une lumière tiède. Ou p't-être que la douleur est seulement celle du cœur qui se dilate et éclate après une nuit de fièvre. Dis-moi pourquoi j'suis là, calée entre tes draps, enroulée dans tes bras et à peine flippée de moi. Ça devrait absolument pas faire partie du contrat.

Et je sens sur nos lèvres, un drôle de sourire mièvre, des douceurs qui s'élèvent, qui m'effraient, qui m'énervent mais m'absorbent et m'obsèdent, ça d'vient trop délicat. Et c'est pathétique, pathétique, pathétique, c'te fille en fuite qui part en flippe, angoissée juste à respirer à côté d'un autre que moi. Ouais, c'est pathétique, pathétique, pathétique, j' voudrais plus avoir peur de rien, j' voudrais plus avoir peur de moi, j' voudrais qu' ça n'me ressemble pas.

Fais rien croire d'autre que c'que tu es, fais pas d' promesse en l'air comme toutes ces âmes blessées. On va pas r'faire l'histoire, faire semblant d'aller bien, on attend juste en gare d' ceux qui n' croient plus en rien. Et c'est tout ce qui m'va, tout c' qui m'va, tout c'qui m'va ; comme une moufle estivale un peu raccommodée, comme un fusil baissé, une arme presque pacifique prête à être déposée...

Une avancée... ? C'est c'que j'croyais !

C'est c'que j'croyais que j'voudrais croire mais y'a trop de choses qui se jouent dans le noir, dans ma tête, dans mes insomnies, dans les ombres derrière le miroir, des dédales insolubles, des trous béants, des vieilles histoires, des kilomètres de paranos, de vies clouées dans des couloirs. Je m' suis trop bien battue pour arriver à ne plus rien lui d'voir. J' reviens d' trop loin, à m'être perdue, pendue, pense plus, pansement sur mon âme éperdue, j' crois qu' tu préfères même pas savoir. J' peux pas replonger, sauter dans le vide, m' briser la nuque, m' péter les jambes, refaire ma vie, refaire mon monde, refaire confiance à un connard. Je m'vois sans toi d'jà désossée, dépossédée, débile d'amour à en crever, dix ans, deux mois, dis-moi, combien d' temps ça prendra pour que tu te lasses de moi, pour que j' me passe de toi, plus jamais ça, plus jamais ça.

*

J'aime pas les drôles de sourire au réveil, ceux qui me mentent, ceux qui me trompent, ceux qui me montent la tête et me font voir monts et merveilles. J'aime pas tes drôles de sourire au matin, ceux qui réveillent tous mes traumas, mes doutes et mes mauvais instincts. C'est impossible, invincible, indicible, tous les gravas que ça remue, ton p'tit sourire déchu. J'suis prête à rien, prête à rien, prête à rien... J'crois qu' ce sera juste à jamais, toujours impossible de refaire confiance à quelqu'un.

Ne pas avancer et décider de rester coincée encore un peu à la surface du sans-danger des âmes trop amochées. Remettre un masque sur ma canine, mon faux sourire en coin, une larme au sel amer, l'âme au bord du ravin, un semblant de pas en arrière mais surtout mille raisons à vif inexplicables, inextricables, de surtout pas aller plus loin. J'vais rien faire croire d'autre que c'que j'suis, j' f'rais pas d' promesse en l'air comme toutes ces âmes maudies. On va pas r'faire l'histoire, faire semblant d'aller bien, tu s'ras jamais aussi patient qu'le quai du temps où j'attends rien.

DRÔLE DE SOURIREWhere stories live. Discover now