chapitre cinquième - envol

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Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Le Lac, Alphonse de Lamartine

— Tu as quoi ? demande maladroitement Sharl.

Le groupe semble toujours essayer de procéder l'information que vient de leur donner Oprah ; lui-même est encore assez dans le flou. Qu'est-ce que cela veut dire ? Qui est le Oprah qu'il était il y a quelques secondes ? Qui sont les amis qu'il a vu sur cette plage ? Qui sont ces gens qu'il a l'impression pourtant de si bien connaître ? Tant de questions trottent dans son cerveau, et si cela continue ains, il pourrait bien avoir une migraine d'ici dix minutes. Tout se bouscule dans sa tête et quand Ethel lui secoue l'épaule avec insistance, il se demande s'il n'aurait pas pu s'évanouir de nouveau.

— Oprah, raconte-nous.

Il hésite. Il cherche encore à comprendre son souvenir, à comprendre ce qu'il a vu et pourquoi tout était si familier. Quand il était là-bas, il avait eu à la fois l'impression d'être à sa place, mais aussi de ne pas totalement appartenir au lieu. Serait-ce un autre lui ? Serait-ce lui... avant ? Mais avant quoi ?

— Je pense que c'était un souvenir. J'étais sur une île, au bord de l'eau... Hawaii. Il y avait mes parents, ma soeur, mes amis... et toi, Ethel.

Quand il le raconte, il est saisi d'un doute de plus en plus gros. Hawaii n'existe pas. Il a déjà étudié plusieurs fois les planisphères accrochés dans la mairie, et aucune île de ce nom y apparaît. Pourtant, ce qu'il a vécu est bien réel, il ne peut pas se débarasser de ce sentiment. Tout ce qu'il a touché, tout ce qu'il a dit, tout ce qu'il a vu, tout ce qu'il a senti, tout ce qu'il a goûté ; la totalité de ses cinq sens pointaient vers le fait que la réalité est là, au bout de ses doigts, mais qu'elle lui échappe encore.

Il n'a pas assez d'éléments, pas assez de clés. Peut-être que le destin veut l'amener à se questionner sur cette "vision".

— Tu m'as vue ? Comment ? Je n'ai pas bougé d'ici, comment j'aurais pu être à... Hawaii.

C'est une très bonne question, admet Oprah pour lui-même. Une très bonne question.

— Je suis persuadé de t'avoir vue, je ne sais pas comment, ni pourquoi... ni rien du tout en fait. Je sais juste que tu étais là, et il y avait aussi ton petit-ami.
— Moi ? Un petit-ami ?
— Triste nouvelle pour Antigone, Ethel préfère les pénis, chantonne Marco.
— Dieu sait que tu peux être terriblement lourd parfois, Marco, cingle Antigone immédiatement après.
— Toujours est-il que j'ai vu ça, reprend Oprah. J'ai vu Ethel avec son petit-ami. On avait un groupe un peu comme le notre... Trois garçons et une fille, donc toi. Enfin bref, c'est un peu vague maintenant que j'essaie de me rappeler ce que j'ai vu.
— Tu sais que t'as l'air d'un fou actuellement ? dit Sharl qui sort de son silence pour rejoindre la conversation pour la première fois.
— Oui, je sais ! J'ai l'air de beaucoup de choses ! Mais là, tout ce que je vous dis, je l'ai vu et je vous jure.
— Moi, je le crois, interrompt Ethel.

Tous les yeux se tournent vers elle. Elle a la tête haute et les iris remplis de détermination. Elle a cette aura qui émane de sa personne lorsqu'elle est sûre de ce qu'elle annonce. Elle croise le regard d'Oprah, et ce dernier lit sur son faciès qu'elle croit avec bel et bien, réellement, avec ferveur. Il reconnaît bien là sa fidèle meilleure amie, toujours derrière lui dans ses idées les plus tordues.

Même si certains points de leur amitié sont encore flous, et que maintenant ce mystérieux flash se rajoute, il sait qu'elle ne l'a jamais laissé tomber. Rien que ce qu'il a vu, quand elle l'a défendu contre Elio sur cette plage, il sait qu'elle n'a jamais réfléchi à deux fois avant de choisir le camp des batailles qu'elle mène. C'est avec lui qu'elle se rangeait par défaut. Il en est certain. Cela vaut aussi dans l'autre sens. Oprah ne se permettrait jamais de l'abandonner. C'est peut-être un peu niais, ou peut-être totalement stupide de leur part, cette confiance aveugle qu'ils partagent, mais ils n'avaient jamais fonctionné autrement.

au-delà de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant