Promenade en forêt

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Il courut à travers les arbres, sans prendre garde aux branches qui lui écorchaient le visage, sans savoir où il allait. Il ne ressentait plus de souffrance physique, tant son cœur lui oppressait la poitrine. Je le savais, songeait-il, inconsolable. Je savais que ça se passerait mal. Ça se passe toujours ainsi ! Pour s'intégrer, il essayait de se montrer gentil, agréable, patient -de se comporter comme les autres, de façon normale. Mais il restait différent, exclu, à jamais...

A bout de souffle, il s'arrêta, le dos courbé, les mains posées sur les cuisses. Ses jambes fléchirent et il s'effondra au pied d'un frêne aux branches noueuses. Les bras enlacés autour de ses genoux, recroquevillé sur lui-même, il pleura longtemps.

Soudain, il sentit une feuille chatouiller le sommet de son crâne. Intrigué, il releva la tête, le visage baignant de larmes. L'arbre, pour témoigner sa compassion, avait laissé tomber l'une de ses feuilles. Un sourire épanoui éclaira son visage, ses traits se détendirent, tels un ciel ébloui par un arc-en-ciel après rude orage. Il posa sa main sur son tronc, les yeux fermés, en symbiose avec la nature. Au moins, sa douleur émouvait quelqu'un...

Il se releva brusquement, l'œil aux aguets, l'esprit tendu en avant. Il venait d'entendre un bruit dans les fourrés. Son cœur martelait comme un tambour, à cause d'une peur nouvelle. Il pensa qu'Azïn pouvait l'avoir suivi. Cette idée en tête, il se décida à lui donner une bonne leçon. Le goût excitant, jouissif de la vengeance envahit sa gorge.

Doucement, sans émettre le moindre son, il se baissa. Ses doigts agrippèrent un bâton solide posé à terre. Il se redressa, la branche morte dressée au-dessus de son crâne à la manière d'un sabre Onakien. Sur la pointe des pieds, il se dirigea vers les buissons. Il espérait ainsi surprendre le fils du forgeron. Sa seule chance de le vaincre résidait dans l'effet de surprise -s'il échouait à l'assommer du premier coup, il perdrait le combat...

Il projeta son âme alentours. Personne, remarqua-t-il. Il devait s'agir d'un lapin sauvage, enfui à son approche. Les sourcils froncés, à la fois déçu de ne pouvoir frapper Azïn et soulagé d'éviter l'altercation, il abaissa son arme.

Soudain, une forme sombre, surgie des fourrés, lui sauta dessus et le plaqua à terre. Surpris, il lâcha un petit cri et son bâton. Il redressa la tête et se retrouva face à un loup gris. Le museau de l'animal frôlait son nez, si bien qu'il devait loucher pour l'apercevoir. Les crocs retroussés, les yeux jaunes plissés, il grondait d'un air hostile. Les pattes de l'animal, posées sur son torse, et la panique oppressaient le souffle du garçon.

– Reste sage, petit, l'avertit le loup. Je ne te veux aucun mal.

Le garçon, soulagé par son ton rassurant, fut tout de même sidéré. Il se remit à inspirer de façon régulière.

– Mais c'est vous qui venez de me sauter à la gorge ! répliqua-t-il.

Le loup se redressa et le toisa de haut. Il désigna du museau son arme improvisée, étendue au sol à sa droite.

– Tu voulais me frapper avec ce bâton, répliqua-t-il.

Le garçon tourna la tête sur le côté, observant le bout de bois. Il regrettait de s'être laissé emporté par ce stupide élan de vengeance -tout cela pour une querelle d'enfants. L'attitude de son adversaire, pleine d'orgueil et de mépris, d'injustice et d'agressivité, répandait dans son âme une rancœur incontrôlable.

– Je croyais qu'Azïn me poursuivait, répondit-il comme pour lui-même.

Le loup s'écarta de lui. Le garçon le suivit du regard, méfiant. Il se releva avec prudence. Sans le quitter des yeux, il s'épousseta les vêtements, salis par ses coussinets. Il s'éloigna de lui, assez loin pour l'esquiver s'il récidivait son attaque. Assis sur ses pattes arrières, l'animal le fixa de ses grands yeux fauves.

Le Dernier EmpereurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant