LA COURONNE

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Ainsi les dernières nuits d'Araslane IV dans son palais furent tourmentées, car il ne voulait pas voir son fils faire une folie, et laisser son royaume sans chef. Durant ses derniers jours il convoqua au palais tous ses généraux et ses messagers, pour leur dicter la marche à suivre une fois qu'il ne serait plus là ; il fit venir ses représentants de toutes les provinces, et leur indiqua ce qu'il faudrait faire après son départ ; il rassembla une dernière fois tous ses conseillers, et leur donna des consignes précises pour la suite des événements. À son épouse Walida qui s'inquiétait de la réaction du prince, le vieux roi répondit qu'elle pouvait être tranquille, car il avait pris ses dispositions.

Le matin de son départ, Araslane se leva avec le soleil et, pour la dernière fois, il passa à son doigt sa petite bague de rubis ornée d'un lion d'or sculpté. Pour la dernière fois, il enfila son manteau de roi. Dans la salle du trône, tenant d'une main le rideau rouge, il jeta un dernier regard sur son royaume par la fenêtre, et vit dans les rues de la ville son peuple assemblé. Suivant la tradition, il s'avança jusqu'à la table aux cartes, celle sur laquelle il avait étudié pendant de longues heures les cartes des multiples provinces de son royaume, et il y déposa sa couronne, que son fils viendrait y prendre après son départ.

Il caressa une dernière fois du bout des doigts les quatre petits anges de bois sculptés sous les rebords de la table, car il leur avait demandé conseil en silence d'innombrables fois, quand le royaume était en guerre. En sortant de la salle il posa une dernière fois la main sur la poignée ovale de la porte, et songea au matin où, après le départ de son père, il était venu ouvrir cette porte pour entrer dans la salle du trône et prendre la couronne sur la table aux cartes. Il quitta le palais sans jeter un regard à son trône : il lui avait causé bien assez de soucis.

À la sortie du palais, Araslane vit que toute la cité s'était massée aux portes pour assister à la dernière marche de son souverain. Accompagné de son épouse et de ses conseillers, entouré d'une garde nombreuse, il traversa la foule qui s'écartait avec respect sur son passage et s'élança vers la sortie de la ville. Sur son chemin il sentit que son peuple était triste, mais s'efforça de ne pas le voir. Tandis qu'ils marchaient derrière lui, ses soldats et ses plus fidèles conseillers retenaient leurs larmes, espérant secrètement que le roi allait se retourner et leur dire qu'il ne partait finalement pas, ou bien choisir deux ou trois d'entre eux pour partir avec lui et le protéger, ou pour s'échapper avec lui vers une région lointaine ; mais le roi ne se retourna pas. Ils sortirent de la ville, laissant derrière eux les toits des maisons et les minarets, et arrivèrent aux portes du désert.

À l'entrée de l'Allée, le roi s'arrêta et dit adieu à sa femme et à son peuple. Il savait qu'ils essayaient de le voir partir bravement, et ne voulait pas les décevoir. Puis il se retourna vers l'Allée et, d'un visage de marbre, plissa les yeux pour apercevoir ce qui l'attendait derrière l'horizon entre les falaises. Mais, à vrai dire, il ne vit que des ombres. Sans se retourner, il s'avança entre les falaises et s'éloigna d'un pas calme et rapide. C'est ainsi que, le matin du jour dit, devant son peuple assemblé, Araslane IV s'engagea dans l'Allée des Rois.

Tandis que la cérémonie prenait fin, quelque part dans les sous-sols du palais, Adil Jahid se réveillait seul dans une pièce sombre. Son père savait à quel point le prince était obstiné et, sachant qu'il poserait des problèmes le matin du départ, avait pris ses précautions : les gardes du palais avaient reçu ordre, la veille, de verser dans le vin du prince un puissant somnifère et de l'enfermer dans une cellule sous le palais où ils devraient le laisser enchaîné trois jours durant. Le roi avait demandé que son fils fût en tous points traité comme le prince qu'il était, et qu'on lui apportât les plus somptueux repas dans sa cellule durant ces trois jours, mais que sous aucun prétexte on ne le laissât sortir. De la sorte, le vieux roi espérait avoir le temps de s'enfoncer assez loin dans l'Allée pour ne pas être rattrapé, ou pour mourir, peut-être, avant d'être retrouvé. Découvrant qu'on l'avait trompé, le prince entra dans une fureur noire, et frappa de ses poings les murs de sa prison jusqu'à en faire résonner tous les couloirs du palais. Quand on venait le nourrir, il malmenait les gardes et leur jetait au visage les plats qu'ils lui apportaient, et pendant trois jours sa mère souffrit de l'entendre hurler et frapper dans sa cellule obscure, car il lui suffisait d'un geste pour faire libérer son enfant bien-aimé, mais elle savait que s'il sortait avant la date fixée par Araslane, il s'élancerait à sa poursuite et y laisserait la vie.

L'Allée des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant