Chapitre 8

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Cette fois, quand j'arpente de long en large ma salle à manger, l'émotion qui me transporte n'a rien à voir avec le stress qui me submergeait tout à l'heure.

Je suis hors de moi. Plus en colère que je ne l'ai jamais été.

A tel point que je n'arrive pas à formuler les pensées qui se bousculent dans mon esprit en surchauffe. Je me contente de marcher, furieuse, le poing serré et la mâchoire contractée, interrompant mes grognements par des onomatopées incompréhensibles.

Luc, assit sur le canapé, les mains pendantes entre ses jambes écartées, me regarde faire:

- Jam', sérieusement, tu te prend la tête pour un mec qui n'en vaut pas la peine.

Je crois qu'il ne se rend pas compte. 

- Non, Luc, tu ne comprends pas. Ça n'a rien à voir avec Shawn... Enfin, si, mais pas seulement. C'est un tout. Les professeurs qui me croient absente parce qu'ils ne me reconnaissent pas. Toutes ces heures de classes passées dans le silence. Les travaux de groupe où je me retrouvais toujours seule. Cooper et ses moqueries... J'en ai marre de tout ça.

Je m'interromps pour chercher mes mots :

- Luc, j'en ai marre de me sentir invisible dès que je franchis les portes du lycée. Le jour de la rentrée Madison m'a appelée Jessy, tu t'en souviens, non ?

- Mais arrête ! Elle sait très bien comment tu t'appelles, c'est une garce, c'est tout.

- Tu as raison, c'est une garce. Et même si elle donne du mal pour me rendre la vie impossible depuis la rentrée, je ne suis pas la seule dans ce cas. Elle nous traite tous comme des moins que rien, et on la laisse faire. Et pourquoi ? Parce qu'elle s'est autoproclamée reine de Fellpoint High ? Je ne suis pas d'accord. Le fait d'être populaire ne devrait pas lui donner tous les droits. J'en ai plus qu'assez qu'une bande d'abrutis égocentriques fassent la loi sous prétexte qu'ils sont bons en sport ou que leur parents soient pleins aux as. Ça a assez duré.

Je crache presque ces derniers mots tant la colère qui bouillonne en moi menace de déborder. Mais pour une fois, je ne vais rien faire pour la dompter, je dois la laisser m'envahir et me submerger pour en apprécier les bénéfices. C'est cette rage sourde qui croît en moi depuis des années qui va me donner le courage d'aller au bout de mon idée.

Celle qui est née quand Luc a pris la parole pour me consoler. Celle qui tourne en boucle dans mon esprit depuis, comme un quarante-cinq tour rayé.

M'affranchir.

D'eux.

Du contrôle qu'ils exercent sur ma vie sans même en avoir conscience.

- Euh... Jamie ?

- Oui ? je répond sans le regarder.

- Tu sais à qui tu me fais penser, là ?

- A une Valkyrie, fière et conquérante, prête à reprendre le contrôle de sa vie, dis-je, le regard toujours perdu dans le vague, le poing et la mâchoire serrée .

- Oui... Enfin, non. On dirait Cruella d'Enfer et j'ai peur que dans quelques secondes tu me demandes d'aller capturer des chiots...

- T'as vraiment un don pour gâcher l'instant, toi... lâché-je en laissant retomber mes bras face à tant de mesquinerie.

Il hausse les épaules et se laisse tomber en arrière, sur l'assise du canapé.

- Qu'est-ce que tu veux, on ne peut pas tous être directeur de la maison "House of Devil", il faut du talent pour le petit peuple aussi...

F*ck it ListOù les histoires vivent. Découvrez maintenant