Chapitre 9

65 12 0
                                    

N°1 : M'affranchir des codes de la mode. 

Ce matin quand je m'éveille, avec l'odeur du pain grillé qui flotte dans les airs, mon corps courbaturé me renvoie les excès de la veille. Avachie sur le canapé, j'ai le dos en compote, la bouche pâteuse, l'estomac en chantier et j'ai mangé tant de sucrerie que je pourrais parier que ma peau sent le caramel.

- Mais que vois-je ? Ma Jam' Jar*, pile ce qui manquait pour un petit déjeuner parfait.

- Eurgh, mais comment tu fais pour être en forme, alors qu'on s'est couché il y a peine quatre heures.

- Tu sais ce qu'on dit, ma grande... L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.

- Et toi, tu sais ce que disait un grand homme ? "Trouve ce que tu aimes et laisse le te tuer". Bonne nouvelle, j'ai trouvé et c'est le sommeil, dis-je en replongeant ma tête dans le coussin du sofa.

Le nez enfouit dans ce qui me fait office d'oreiller, je tends l'oreille en entendant des bruits de pas sur le parquet. Accompagnés d'une douce odeur de cacao qui emplit mes narines.

- Tu es sérieusement en train de me dire que tu vas rester là, cachée sous ta couverture alors qu'un délicieux chocolat chaud t'attend à portée de main.

Sans relever la tête, je tends la main pour me saisir du mug mais Luc l'éloigne de moi avant que je puisse l'attraper.

- Non, non, non. Ça ne va pas se passer comme ça.

Il arrache mon plaid d'un geste brusque, le traître, et donne un coup de pied dans le sofa.

- Debout ! Il est temps de t'attaquer à ta mission du jour.

Il a raison. La fatigue, les courbatures et les nausées post orgie boulimique ne devraient pas se mettre en travers de ma route. Lentement, je me hisse hors de mon lit de fortune et rejoins mon meilleur ami, qui m'attend à l'entrée de la cuisine, son sourire narquois planté sur les lèvres et la tasse de chocolat qu'il m'a promis en main.

- Alors, Mademoiselle d'Enfer, on commence par quoi ?

Je secoue la tête et réfléchis un instant avant de trancher:

- Soyons pragmatique, Jasper. Je ne vais pas changer de personnalité du jour au lendemain. Pour mettre le pied à l'étrier, commençons par le plus simple. Un geste symbolique pour nous, qui ne sera pas forcément pris comme un acte de rébellion.

- C'est à dire ?

- On s'affranchit des diktats de la mode, jeune freluquet ! dis-je, les bras écartés.

Je lui arrache sa tartine des mains, en mords un morceau et me précipite à l'étage en tirant mon ami par le bras.

Luc me suit, bon gré mal gré, et s'écroule sur mon lit en me voyant ouvrir ma penderie en grand.

- Oh non, ne me dis pas que tu vas me faire un remake de Pretty Woman et que je joue le rôle de Richard Gere ?

- Luc Peters, es-tu en train de me comparer à une prostituée ?

- Oui... mais une très jolie. Et célèbre avec ça.

Je renifle bruyamment, redirige mon regard vers les portants devant moi avant de le reposer sur mon ami :

- Je ne sais pas par où commencer...

- C'est parce que tu regardes dans la mauvaise armoire... Celle là, c'est celle de tes fringues de tous les jours... Regarde plutôt dans celle qui se trouve derrière moi.

Il a raison. Il est temps de sonder les bas-fond de ma garde-robe et de piocher dans les rebuts de mon dressing. Précautionneusement, j'ouvre les portes battantes qui recèlent toutes les pièces que j'avais mis de côté parce qu'elle ne correspondaient pas au dress code imposé par ces mademoiselles les Cheerleaders.

Et instantanément, je retombe amoureuse de tous ces vêtements qui m'ont, un jour, séduite et que j'avais mis au placard. Littéralement.

Mes t-shirts de groupe de rock : trop punk. Ma jupe en cuir : trop gothique. Ma jupe crayon : trop preppy.

A croire qu'on ne peut pas simplement aimer la diversité.

A Fellpoint, il faut que notre tenue renvoie forcément à une sorte d'étiquette qu'on nous a attribué sans qu'on ait notre mot à dire. Moi qui ai toujours aimé m'amuser avec mes vêtements, à partir de mon entrée au lycée, je n'ai plus envisagé la mode de la même manière. Quand avant je choisissais ce que je portais en fonction de mon état d'esprit du jour, j'ai fini par renoncer pour me conformer à ce qu'on attendait de moi. Je me suis fondue dans la masse et ait choisi des pièces en fonction de l'image qu'elles pouvaient donner de moi.

J'ai oublié les paillettes et les couleurs des tenues pétulantes qui me caractérisaient autrefois pour sombrer dans la banalité d'un classique jean/basket.

Aussi insignifiant que celle que je suis aujourd'hui.

Mais ça a assez duré.

Prise d'une frénésie de relooking, je sors toutes ces petites merveilles mises au rancart parce que je n'étais tout simplement pas assez courageuse pour affirmer mes envies. Et devant moi, je brandis ce qui deviendra l'étendard de ma liberté retrouvée : Un t-shirt noir floqué d'une étoile rouge, dans laquelle est brandit un poing levé. Un t-shirt des Rage Against The Machine. Le groupe le moins conventionnel de ma playlist. Le préféré de mon père.

Parfait.

Je l'associe avec un jean retroussé, une veste en cuir et ma paire de Doc Martens tombée en disgrâce après que Madison les aient regarder avec une moue dédaigneuse, l'an passé.

Je sors de ma salle de bain et montre le résultat à Luc, qui commençait à s'impatienter.

- Alors ?

- Tu as le look de l'ado rebelle par excellence.

Je lui pointe un index accusateur sous le nez et lui dit:

- Mais flûte ! Ta réponse va à l'encontre de la démarche. J'envoie un message là. Je ne suis pas une rebelle, une geek ou une pimbêche. Juste une fille qui passe par tout un panel d'émotion au quotidien. Je suis tout et rien à la fois. Bon. Et toi, tu vas porter quoi ?

- Ça... dit-il en écartant les bras.

- Un pull de Noël ? C'est quoi ta revendication ?

- Que j'aime Noël et qu'il est honteux de devoir laisser ces pulls formidables moisir dans un placard pendant 11 mois par an. Quand toi tu remet en cause l'ordre du lycée, moi je bouscule les mentalités. A bas le clivage saisonnier ! Des col roulé en été et des shorts en hiver ! Scande-t-il, debout sur mon lit.

Sur le chemin du lycée, je rédige un post rapide pour informer mes abonnés de mes projets en évoquant la liste et en accompagnant l'article d'une photo de mon t-shirt. C'est loin d'être aussi soigné que mes entrées habituelles, mais je ne me voyais pas entamer cette démarche sans leur en parler. 

Je n'ai pas de secret pour eux.

Avant de pousser les portes du hall, Luc et moi échangeons un dernier regard pour nous assurer que nous sommes tous les deux motivés, mais aussi pour nous encourager à franchir le cap.

Nous n'avons fait que quelques pas dans le couloir quand je sens les regards peser sur nous, sans qu'aucun n'ose nous adresser la parole pour autant.

Enfin, jusqu'à ce que nous croisions Cooper, et que celui-ci me bouscule en passant :

- Alors Rivers, t'as mis ta panoplie de vilaine fille ?

Je m'arrête, me hisse sur la pointe des pieds et lui glisse à l'oreille :

- Non. Je prépare la révolution, ducon.   

F*ck it ListOù les histoires vivent. Découvrez maintenant