Pyper était douée pour se trouver des amies aussi atypiques qu'elle. En cet instant, elle tentait d'ailleurs de contraindre sa ravissante copine au look un peu décalé à jouer du piano avec notre groupe. Elle ne semblait pas avoir remarqué les mèches bleu électrique qui parsemaient une chevelure d'ébène, les mitaines en dentelle noire, la peau aussi laiteuse que si elle n'avait jamais vu le soleil - un comble, en Californie ! -, le soutien-gorge en dentelle superposé à un haut entièrement transparent. Le tout agrémenté de taches de rousseur.
Du piano...
Je restai bouché-bée en la voyant s'installer derrière l'instrument que les techniciens avaient dû apporter pendant la pause. La lumière déclinait doucement, parant la scène d'improbables ombres orangées. Le cadre devenait intimiste, la foule se faisait moins endiablée, même la chaleur s'accompagnait d'une brise chaude néanmoins agréable.
Puis elle posa ses mains aussi pâles que les touches d'ivoire sur le piano, et je crus succomber. Je n'avais pas de mots pour décrire cette douce mélodie un peu mélancolique qui me provoquait des frissons. Mes poils en étaient hérissés, la beauté devenait presque douloureuse. Toute ma peau semblait être tendue au maximum, un tic nerveux agitait ma paupière.
Starlie ne tarda pas à l'accompagner de sa voix rauque qui se mariait si bien avec le timbre de l'instrument, j'en oubliai un instant de respirer. Ce n'est qu'en apercevant des petits points brillant comme des lucioles apparaître sur l'horizon, que j'inspirai un grand coup.
J'errais dans une bulle de musique, où rien ne comptait plus que les petites touches bicolores, la bouche ourlée de Starlie, le rythme imposé par cette inconnue. J'étais dans un monde à part, accessible uniquement à ceux qui savaient écouter : la délicate mélodie, le tempo marqué, la beauté à l'état pure. Jamais je n'avais entendu quelque chose d'aussi brut, quelque chose qui vous enlevait à la terre pour vous faire flotter dans un entre-deux intangible.
Il ne restait plus rien, à part ce son qui prenait une direction plus endiablée, et s'accordait bien mieux avec les battements effrénés de mon cœur. Mon attention était captivée par cette inconnue au chignon flou et au don intense. Un don si puissant, si dévastateur qu'il parvenait à m'emporter, à me faire quitter mon propre corps.
J'étais subjugué. De ma vie, je n'aurais jamais pensé vivre un moment d'une telle profondeur. J'avais la sensation que je pouvais mourir en paix, maintenant qu'il était ancré en moi.
Même Daisy et Pyper restaient en retrait, presque timides face à la musique sublime qui s'élevait entre nous. L'instant était magique.
Un énième frisson me parcourut lorsque j'abattis mes baguettes aussi délicatement possible, suivant le rythme imposé, le sublimant. Mes sœurs me suivirent à la guitare, faisant exploser les enceintes. Toutefois, cela ne dénaturait pas la mélodie d'origine, mais l'accompagnait, s'enroulait autour d'elle avec affection. Presque de la bienveillance.
Quand tout fut fini, que les spectateurs applaudirent à tout rompre, et que j'essuyai furtivement une larme qui avait perlé au coin de mes yeux, la fille s'approcha de moi :
— Hello, me salua-t-elle avec un accent adorable, moi c'est America.
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À un souffle de toi
RomanceIl ne manquait pourtant presque rien entre mon cœur brisé et son âme noircie, presque rien... Juste un souffle amer. #49 catégorie nouvelle le 09/05